VOYAGE 1960 PARIS DEHLI PARIS

 

Clausse Hubert

Lanthonie Michel

Sizaret Eric

De Traverse Henri

 

7 juillet 1960 Paris Neufchâteau

8,9 et 10 juillet Genève 583 miles

 

Ce voyage commence à Paris avec passage par Neufchâteau, dans les Vosges, chez les parents d'Hubert, pour prendre une cargaison de médicaments

Puis, après un petit détour par Ronchamp et la chapelle du Corbu, vers Genève : Les papiers du kombi Volkswagen sont établis au nom d'un allemand, Walter.Ils doivent se transformer en Suisse et nous permettre à nous Français de poursuivre le voyage jusqu'à Dehli. Il faudra trois jours pour débrouiller ces paperasseries et obtenir un triptyque convenable.

Nous ne le regrettons pas, si généreusement accueillis et hébergés par la famille Sillion.

Le kombi a été acheté à Paris en dollars (trafic coupable) à des bonnes sœurs hollandaises arrivant du Portugal. Ses plaques sont en TT et pour cette raison, seul un étranger peut le sortir de France. Il pourra cependant faire ensuite le tour du monde avec nos petites personnes française au volant.Nous n'avons pas cherché à comprendre, c'est comme ça.

11 juillet 1960 Munich 234 miles

Nous nous levons tous plus ou moins tôt pour nous égayer dans toutes les directions afin de régler les derniers préparatifs : assurances vie (Très réjouissant !) et maladies jusqu'à dix millions ( cela donne une singulière envie de revenir bancales, pesteux ou paralysés pour la vie), achat d' une cellule très compliquée (une façon de payer le plus cher possible le moyen de gâcher nos bobines !), envoi de plusieurs lettres (notre voyage est tellement original et sensationnel qu'il est de votre intérêt , monsieur de nous faire cadeau de nombreuses bobines, veuillez agréer...) etc.

Un dernier dîner avec le « patron »( tais toi, imbécile, foutez moi la paix et écoutez ma petite histoire de bibendum... ), vin blanc, vin rouge, café, encore quelques bricoles, au revoir à la charmante famille qui nous a permis de vivre trois jours de repos et de gueuletonailles aux frais de la princesse, nous nous entassons dans le baby pour filer vers Munich.Il est quatre heures quand nous prenons le véritable départ de cette troisième étape dans une voiture bien rangée ou les quatre » indiens » paraissent perdus.Mais 1e fourbi ne tarde d'ailleurs pas à prendre le dessus, bien que surmonté de Michel et Hubert confortablement allongés dans leurs sacs de couchage et prêts au sommeil.Dehors, la pluie tombe toujours , à croire que toute l'Europe est décidée à pleurer notre départ ; elle aussi se pique au jeu, nous avons décidément réussi à convaincre tout le monde.

Le trajet s'effectue tranquillement par Berne et Zurich.Eric essaie bien de démolir le moteur avant terme mais les autres braillent tellement qu'il se calme et se venge en écrasant un furet.Quant à Henri, il exulte : décidément, quand on ouvre le déflecteur, ça sent l'auvergne !! Suisse, un peu d'Autriche, Allemagne avec une aube à la tintin puis Munich: il est cinq heures trente du matin.Petit déjeuner de neuf cent balles au buffet de la gare (Genève nous a donné de mauvaises habitudes), passage aux toilettes à l'ahurissement des braves gens : en quelques minutes les affreux individus se sont transformés en élégants personnages prêts à commencer cette journée de marchandage.

Mardi 12 juillet Munich 21 miles

Visite à Véwé où nous passons toute la matinée à faire des listes de pièces que nous emmènerons avec vingt pour cent de réduction en début d'après midi.Ces achats se compléteront par ceux de matelas pneumatiques et d'un poste à transistors dont, après coup, nous ne serons pas tellement contents.Entre-temps, Eric aura reçu à sa banque cent cinquante mille francs qui sont les bienvenus.Bref, toute la journée de ce mardi se sera écoulée à travers les rues de cet immense Munich que nous avons bien souvent tendance à comparer à un musée des horreurs avec toutes ses copies insolites de palais florentins ; un palais Pïtti en carton pâte doit certainement regretter le ciel magnifique sous lequel vit fièrement son vieux frère jumeau.La loggia qui lui fait face ne doit pas,en tout cas, lui remonter le moral.

De toute façon, nous sommes là en acheteurs plus qu'en touristes et après la grosse déception de la journée (Perutz ne veut pas nous procurer de films), nous allons camper dans une belle forêt des environs.Nous profitons de notre solitude pour ranger le chargement de la voiture : les caisses s'entassent à plus d'un mètre de haut et laissent bien peu de place libre.Nous arrivons à en vider cinq ou six et notre intérieur devient beaucoup plus engageant.Une rapide collation et nous sommes déjà au lit.

Mercredi 13 juillet 1960 Graz 284 miles

Aujourd'hui, ce sont les achats d'appareils de photo, films et objectifs. Nous restons près de quatre heures dans le même magasin à palabrer autour des différents appareils mais â la sortie chacun semble ravi de son choix.Encore quelques courses, il est déjà plus de dix huit heures trente et nous décidons de quitter Munich sans plus attendre de peur d'y rester encore plusieurs journées. Nous n'irons pas, à regret, à la « gross brasserei » où nous nous étions gentiment enivrés l'année dernière.

Nous filons sur l'autoroute en direction de l'Autriche, nous arrêtons pour vider une boite de poissons et une boite de crème pralinée (il faut bien entamer les conserves : nous en trimballons près de cent kilos et Henri s'inquiète pour la suspension.Et puis tout compte fait, la crème, ce n'est pas mauvais) et reprenons dans la nuit le chemin de Salzburg, Leoben, San Michaele et enfin Graz.Notre technique de route semble au point : trois matelas pneu sont disposés entre les deux rangées de sièges sur l'amoncellement du matériel. L'équipe de conduite se tient à l'avant ( on s'en douterait !), les deux autres dorment ou essaient, confortablement allongés â la hauteur des vitres.Un roulement s'organise, chacun conduisant pendant une heure trente et pouvant, par conséquent, rester couché pendant trois heures. Pourtant, nous avons tous les quatre de bien vilaines figures en arrivant â Graz à six heures du matin : la route de nuit que nous semblons particulièrement affectionner depuis le début du voyage n'est certainement pas la préférable.Par contre, elle serait excellente pour la chasse aux lapins et nous imaginons déjà l'installation d'une herse et la récolte de cette nourriture gratuite et roborative qui nous file entre les ...pneus.

Jeudi 14 juillet Autoput 215 miles

Notre fête nationale !

Nous ne pensons même pas à la célébrer, préoccupés surtout par le nombre de kilomètres à ajouter au bilan car les séjours genevois et munichois nous ont pas mal retardés par rapport au calendrier prévisionnel.

Une panne matinale est venue apporter sa quote-part : Eric au volant s'aperçoit que la voiture ne répond plus à l'accélérateur, on met la réserve mais au bout de quelques centaines de mètres, elle s'immobilise de nouveau.Une demie heure de recherches ...ce n'était qu'une panne sèche.

Le reste de la matinée se passe à Gratz : encore des achats indispensables. Et nous pensions être à Istanbul en quatre jours !!!

Par contre, toute l'après midi se passera sur 1a route, frontière yougoslave sans ennuis, route en terre pendant cent kilomètres, montées et descentes à plus de dix pour cent, tournants en épingles à cheveux, trous et bosses , poussière et puis l'autoput, ruban de ciment fissuré et crevassé dont la monotonie est heureusement compensée par les immenses bois de chênes qu'il traverse.La pluie s'est enfin arrêtée et il fait même assez chaud et nos gorges ont déjà besoin de l'eau des bidons pour lutter contre le chaleur et la poussière..

On arrive assez bien à s'imaginer ce qui nous attend en Iran et Afghanistan.

Arrêt sur les bords de l'autoput, cuisine, vidange, il est déjà onze heures quand nous gagnons nos sacs, deux dans la voiture, deux sous la tente.

Vendredi 15 juillet 1960 Rajanz 292 miles

Réveil matinal. Tranquillement installés à l'ombre d'un bois de chênes, nous continuons nos rangements commencés à Munich: tri de 1a masse imposante des médicaments, vitamines, antibiotiques, sérums, pansements, que nous ont gracieusement procurés les laboratoires parisiens ; nous avons de quoi soigner toute une ville pendant un an, contre pas mal d'affections et de maladies.Tout cela est bien encombrant mais ça ne pèse pas lourd et ça peut toujours servir.

Il faut aussi commencer à se familiariser avec le matériel cinéma, caméra, objectifs, cellules etc.Pas mal de choses dépendent du résultat de nos films et photos.

Ensuite, nous filons rapidement vers Belgrade puis Kragujevac ; il faut rattraper le temps perdu dans la matinée et plus rien ne nous retient sur l'autoput et nous envisageons même de rouler non stop jusqu'à Istanbul.

Espoir insensé, Rosalie nous attendait au tournant.

Rosalie, massive et noire, Citroën de mille neuf cent trente sept (Eric est attendri, elle a son age…), a la mission d'emmener trois étudiants français rencontrés à Paris à une conférence, jusqu'à Ankara.Pour l'instant, elle repose immobile sur le coté de la route.

«  Voila, en traversant le village, nous avons crevé notre tuyau d'échappement et de l'eau s'en écoule.Nous l'avons bien rebouché avec du sparadrap mais le moteur vient de s'arrêter... »

Il semblerait que les chauffeurs soient aussi poètes que leur véhicule. Pépère et Henri leur démontrent que de l'eau dans le pot d'échappement est une chose pour le moins originale et que la panne est assez sérieuse.Devant l'air affolé des autres ils se mettent charitablement à démonter les bougies puis carrément le bloc moteur ; les outils sortent de la Véwé au rythme d'une opération chirurgicale.Les trois poètes regardent, ébahis.

On soulève la culasse, les cylindres et les soupapes sont en parfait état seulement ...ils sont pleins d'eau, jusqu'au bord.

Ce n'est que le joint de culasse qui est foutu, Henri leur montre son état.Le visage d'un des poètes s'illumine, il a déjà vu ce genre de truc quelque part : il farfouille dans le fond de la malle arrière, un superbe joint est là qui attend sagement de servir depuis vingt trois ans.

On remet le tout en place mais d'autres outils sont nécessaires pour terminer le travail.

Les trois poètes admiratifs et stupéfaits de la finesse du diagnostic et de la rapidité de l'opération, sortent deux bouteilles de Saint Emilion et nous trinquons à leur première panne et à notre premier dépannage.

II fait déjà nuit lorsque nous décidons de les remorquer jusqu'au prochain village.Notre câble de vingt cinq mètres arrive à point. Démarrage, la procession commence et tout semble vouloir bien se terminer.Mais, dans une descente, la Rosalie sans doute vexée tente de rattraper la véwé. Puis elle se reprend de toute la force de ses freins à tringle au moment où la véwé essaie, elle, de la distancer : la tension est trop forte pour notre câble trop émotif qui pète en deux endroits. Noeuds coulants, la progression reprend puis ce sont les adieux :

« Ah, les gars, vous avez été formidables, quand on vous a vu arriver, ça a été comme une apparition !!!Allez, prenez cette bouteille ; si, si, si ! On se reverra à Paris; Bon voyage.MERCI ENCORE ! »

« De rien, on sait ce que c'est. Et puis, entre Français.Allez, salut... »

Nous repartons, fiers de nos cinq heures perdues de cette façon. D'ailleurs, nous ne nous arrêtons pas en si bon chemin Pendant notre halte, Hubert a rafistolé un antique vélo yougoslave. Plus loin, en pleine nuit, nous stoppons pour porter secours à une voiture accidentée. L'affaire nous semblant bizarre, nous laissons les occupants se débrouiller après avoir arrêté une autre voiture et allons dormir sur les bords de l'autoroute.

Samedi 16 juillet Edirne 322 miles

L'autoroute en construction l'année dernière est terminé et nous arrivons à Nïs sans encombres par un temps splendide.Nous revoyons avec plaisir la place où nous avions fait la culbute avec la onze. Michel et Eric vont rendre visite au tailleur rencontré à cette occasion mais la visite est écourtée par le passage de deux policiers trop curieux. Vive la liberté ! ! !

Route vers la Bulgarie, la terre et les cailloux remplacent de nouveau le béton et la véwé tangue comme elle le fera certainement souvent pendant ce voyage.

Nous profitons de la halte de midi pour échanger quelques mots avec de vieux paysans serbes. Ils ne semblent pas apprécier notre grand Charles,le prenant visiblement pour un dictateur.De toute façon, pour eux, Kroutchev et Tito n'ont pas non plus la côte.

Photos d'une vieille : quelques secondes après un camion militaire s'arrête et note notre numéro d'immatriculation : allons nous encore avoir, comme l'année dernière, des ennuis à la douane ?

Pourtant non, nous entrons sans aucune difficulté en Bulgarie où les douaniers nous regardent avec de gentils sourires.

Ouf, ça va mieux qu'en 1959.

Nous refaisons très vite le chemin vers Sofia.Dans les champs les travailleurs répondent à nos signes et pendant tout le trajet les Bulgares nous ferons assez bonne mine.

Traversée rapide de Sofia, bonne route le long d'une large vallée dont nous n'aurons pas longtemps le spectacle, la nuit tombant rapidement.La conduite n'est pas très aisée entre les charrettes et les cyclistes qui roulent sans lumière et les camions qui nous éblouissent de tous leurs phares, éteignent complètement, rallument et ainsi de suite, véritable supplice pour le chauffeur.

Cependant nous arriverons sans ennuis aux douanes où tout se passe rapidement.

Un changement : les Bulgares ont creusé une baignoire à voiture, les Turcs ont bouché la leur.Il faut bien que ces braves gens s'occupent.

Pour l'instant, la douane turque est plongée dans l'obscurité et tout s'opère à la lampe à pétrole.Il est une heure trente du matin et nous dormons sur place : on ne perd pas les bonnes habitudes...

 

Dimanche 17 juillet 1964 Istanbul 174 miles

La Turquie, c'est vraiment le début de l'Orient, on respire déjà le désordre et le manque d'organisation, la vie au jour le jour et la décontraction la plus complète, les charrettes rudimentaires côtoient en bonne amitié les voitures américaines les plus modernes tout cela sur d'excellentes routes goudronnées qui, sans transition, font place à d'abominables chemins de terre.

Il est deux heures lorsque nous arrivons sur le bord d'une mer d'un bleu magnifique.

La tentation est trop forte, nous y resterons toute l'après midi à rattraper d'avance dans cette eau merveilleuse, toutes les heures que nous passerons dans les déserts.

Mais il faut rallier Istanbul, ses dolmus indisciplinés, ses autobus antédiluviens, ses lokantasi, ses mosquées et surtout l'hôpital français de Sisli où nous retrouverons notre accueillante chambre de l'année dernière, grande pièce blanche que nous avons l'art bien français de transformer, en quelques minutes, en un indéfinissable capharnaüm.

Petite balade le long des quais, dans le quartier de Stanbul, repas dans un lokantasi qui nous a vu venir : nous payons mille neuf cent kurus pour des poivrons froids, une viande bien pauvre et quelques morceaux de tomates.Il faut avouer que nous avons au dessus de nous un grand ventilateur à pales, le portrait du général Gürsel à coté de celui d'Atatürk et cela vaut peut être une augmentation.A part de ce nouveau portrait que l'on aperçoit servilement dans toutes les boutiques et restaurants, le coup d'état n'a pas beaucoup transformé le visage de la vieille cité et l'on éprouve toujours autant de plaisir étonné à se faufiler à travers sa grouillante animation.

 

Lundi 18 juillet 1960 Gebzé 36 miles

Nous passerons toute la journée dans notre grande chambre. Lessive, douches, écritures : quand on a la flemme on trouve toujours beaucoup de choses à faire sans trop se déplacer.Ceci nous amènera à un départ tardif vers le quai d'embarquement, terminus de l'Europe. Presque une heure d'attente, quelques minutes de traversée, achat gratuit de cinq mètres de scotch noir ( il doit servir au dessin de notre itinéraire sur la carrosserie du véwé ) dans une boutique de radio tenu par un nain sympathique, route de nuit pendant plusieurs kilomètres et enfin arrêt à une centaine de mètres de la route.Hubert confectionne une petite lampe dans une boite de lait condensé ce qui nous permettra de dîner confortablement en écoutant pour la première fois depuis longtemps un poste français.

C'est déjà agréable après seulement dix jours de voyage.

Que sera ce plus tard ?

 

Mardi 19 juillet 1960 Gerade 187 miles

Nuit passée à quatre dans la voiture pour la première fois, le résultat n'est pas favorable.Hubert et Michel se plaignent d'avoir mal dormi, le désordre est à son comble, Henri en le rangeant énergiquement comme à son habitude, casse le pare brise droit.

Départ tardif sur une route qui a fait de grands progrès depuis l'année passée, elle est même très souvent excellente.Elle se dirige toute droite à travers un paysage hors d'échelle, ce qui est bien particulier à la Turquie.

Nous longeons le bord de la mer de Marmara dans une région encore verte puis, après l' ascension assez pénible d'un col de neuf cent mètres, nous descendons lentement à travers de larges collines où les oliviers et les pins remplacent peu à peu les chênes.Nous retrouvons les hôtes habituels, buffles,vaches, moutons et ânes mais ils semblent déjà se civiliser et laissent plus volontiers la route aux très nombreux camions que l'on retrouve assez souvent entièrement renversés sur la chaussée ou dans les fossés.

Ceci nous invite à être prudents et à ne pas trop pousser la voiture qui parait avoir de la fièvre : elle fait de l'auto allumage. Est ce le choc de ce matin ou ses bougies ?

Nous repassons de nouveau devant les maisons en rondins et nous mitraillons les gosses, combattant leur timidité par du chocolat. Ils s'amusent beaucoup et nous remercient en nous lançant des pierres dès notre départ. Hubert les excuse en déclarant qu'ils ont été mal élevés. Peu après, nous nous arrêtons pour camper dans une large clairière à l'herbe rase au milieu des pins, véritable paysage alpestre où le véwé se faufile avec délice.

Henri fait ses comptes, Hubert s'occupe de la cuisine tandis que Michel fouille le moteur et qu'Eric fait sa chronique.

Tout est calme et nous nous installons pour dormir lorsque, coup sur coup, deux types hirsutes viennent roder autour de nous. Nous découvrons qu'ils sont cinq ou six installés autour d'un feu à une centaine de mètres de notre campement.Perdus loin de tout centre, nous décidons de prendre quelques précautions: chacun prépare à coté de lui, à portée de main, qui une lampe de poche, qui une arme quelconque, démonte pneu, clé anglaise, barre de fer.Avant d'aller au lit, nous faisons un petit tour de reconnaissance, histoire de montrer notre force pour ne pas avoir à nous en servir! Hem…

Bien que les types aient l'air honnête, nous resterons sur le qui vive assez tard dans la nuit mais rien ne viendra nous déranger si ce n'est le froid.

Mercredi 20 juillet Yasgat 189 miles

Notre veillée ne nous ayant pas spécialement réussi, nous nous lèverons assez tard : deux types nous regardent enfiler nos blue-jeans mais la voiture est toujours là.

Un nescafé, nous reprenons la route, une route excellente et ensoleillée où les camionneurs se lancent à coeur joie : résultat, en une heure et demie de trajet, nous trouverons deux camions énormes retournés et complètement aplatis dans les profonds fossés et une voiture plongée dans un marécage.Ceci ne semble en rien décourager les chauffeurs turcs qui roulent au mépris de toute prudence.

Nous entrons dans la région des steppes, collines fauves sans aucune végétation, petites maisons plates en torchis, groupées autour d'un petit oasis ou sur une colline.Assez souvent, les canons d'un camp militaire se détachent sur le ciel.

Ankara, nous traverserons rapidement la capitale turque et son mélange d'ancien et de moderne, ses sympathiques contrastes qui démontrent que, malgré tout, on travaille en Turquie.

Hubert et Michel font un marché monstre tandis que les Turcs entourant la véwé, nous montrent par signes que nous serions mieux avec notre barda sur le toit ; ils s'intéressent à notre matériel et nous tiennent de longs discours certainement pleins de sagesse, nous sourient et s'éloignent se tenant tranquillement par la main.

Nous laissons Ankara, à la recherche de sa personnalité et poursuivons notre course vers l'est.

La route est toujours excellente et nous ne nous arrêtons que pour prendre des photos, capturer une infime portion des magnifiques paysages que nous traversons : les steppes fauves se foncent et tendent vers le rouge et le violet sur lesquels se détachent les verts sombres des petits arbustes, des saules et des oliviers poussant le long d'un discret cours d'eau.Les villages sont merveilleux avec leurs murs blancs et ocres s'étageant le long des collines, groupées autour de leur minaret. Les costumes des habitants ajoutent des notes plus crues à cette symphonie de couleurs chaudes. Là-dessus, un ciel limpide et transparent sur lequel flottent de beaux nuages blancs.

Nous roulons jusqu'au coucher du soleil et allons dresser la tente au milieu des saules d'un petit oasis. Tout autour de nous volettent de jolis oiseaux aux ailes bleu turquoise frangées de noir. Nous allons vite nous coucher pour partir tôt le lendemain matin.

Michel veut auparavant régler l'allumage mais le moteur ne veut plus répondre au démarreur ; tout le monde s'y met et tout rentre dans l'ordre. Encore un petit serrage, Henri prend une clé et encore trop énergique, casse le collier du delco.

Aujourd'hui encore on ne se couchera pas tout de suite.

 

Jeudi 21 juillet 1960 Susehri 250 miles

Malgré nos tardives réparations de la veille, nous nous levons à six heures trente et prenons la route vers sept heures trente.En effet, nous avons l'impression de trop traîner et nous devons faire une étape sérieuse qui entame profondément cette immense Anatolie.

Le paysage est sensiblement le même, larges collines fauves et brunes, labourées à perte de vue ou couvertes de seigle.De temps en temps les champs sont envahis d'immenses troupeaux de buffles et de vaches, de moutons et de chèvres. La route en terre coupe droite et blanche à travers ce cadre titanesque et la véwé avance vaillamment soulevant son petit nuage de poussière habituel, ne stoppant que pour nous permettre de prendre quelques hâtives photos de maisons et de villages en torchis.Nous passons ainsi Yasgat puis Sivas, villes typiquement turques, respirant le désordre et la bonhomie, rues mal pavées, maisons placées au petit bonheur, gosses accrochés aux antiques calèches, grosses voitures américaines et régnant sur le tout, l'éternelle casquette.

Nous dînons rapidement sur le bord de la route entourée d'une douzaine de gosses que nous intéressons énormément. Nous les photographions en regrettant de ne pouvoir en faire autant de leurs mères qui vont, vêtues de sarouals multicolores, voilées jusqu'aux yeux et armées chacune de chaudrons en cuivre, traire leurs brebis. Elles passent ainsi par dizaines, détournant la tête et hâtant le pas à notre approche. Grands signes, nous quittons nos petits amis d'une heure pour reprendre la route.

Route qui commence à se convulser entre des collines de plus en plus hautes et grimpe résolument vers la montagne en même temps que descend la nuit. Nous avançons prudemment, la route étroite et à peine taillée dans la terre, n'est pas balisée et rien ne nous sépare des vides déjà impressionnants.

« Michel, fais gaffe dans les tournants ! ! ! », la voiture vient de passer à quelques millimètres du vide.

Nous montons, montons, passons un col de mille huit cent cinquante mètres, redescendons dans la nuit.Tout le monde voudrait dormir, mais ce pays pelé où il fait un froid de canard, ne nous offre aucun havre.

Enfin dans un tournant, nous trouvons un petit chemin sur lequel après l'absorption rapide d'une soupe aux pâtes et aux tomates, nous passerons une des premières bonnes nuits du voyage.

 

Vendredi 22 juillet 1960 Horasan 276 miles

Petit déjeuner : lait concentré, nescafé, pain, confiture et galettes.En effet des petits bergers sont venus spontanément nous offrir deux galettes.Comme remerciements nous leur offrons des sucres mais ils semblent préférer les cigarettes et en arrachent carrément un paquet des mains de notre Pepére.

Un orage nous a précédé la veille et à chaque tournant un torrent traverse et ravine la route : passage en première à chaque fois et il y a beaucoup de tournants dans ce pays de montagnes.L'eau recouvre quelquefois la route sur plusieurs dizaines de mètres, le véwé s'enfonce dans la boue, dérape, glisse mais ne s'arrête pas : nous ne serons obligés de lui venir en aide qu'une seule fois.

Dans le fond du ravin coule une belle rivière couleur rouge brique où les poissons doivent avoir beaucoup de mal à se reconnaître.Nous continuerons ainsi toute la journée à travers un paysage plus ou moins vallonné et plus ou moins désertique où les villages sont de plus en plus espacés.

Nous passons par Erznican puis Erzurum alors que la nuit est déjà tombée depuis longtemps.

Nous sommes cinq maintenant dans la voiture ayant recueilli un français qui part en stop vers l'Iran.

Dehors nous croisons de nombreux convois et même des chars ; la route est bordée de soldats qui, dans l'obscurité, nous prennent pour des généraux, se mettent au garde à vous et nous saluent.

Ne pouvant camper dans leur entourage nous sommes obligés de sortir d'Erzurum et d'attendre quatre vingt kilomètres avant de pouvoir monter la tente sur le haut d'un plateau.

 

Samedi 23 juillet 1960 Maku 179 miles

Route de montagne, col à deux mille quatre cent soixante quinze mètres, nous fonçons car la frontière n'est plus bien loin et nous voudrions passer la nuit à Tabriz dans un lieu sur.

La beauté des lourdes et massives montagnes turques, les vives couleurs des costumes féminins, plus rien ne peut nous retenir et en cette fin d'après midi, nous arrivons à Dogubayazit près du mont Ararat : petite ville où l'on peut admirer la plus belle espèce de la faune militaire turque : oreilles écartées, front bas, oeil stupide et sans vie, nos anges gardiens du Moyen Orient forment certainement un rempart infranchissable : un homme qui pense est un homme mort dans la bataille,dit on.Le soldat turc est éternel.

Pas autant que le mont Ararat qui domine la région du haut de ses cinq mille mètres et de sa célébrité : Noé et son arche sont passés par

là.

Notre imagination travaille mal et nous ne ferons même pas le pèlerinage jusqu'au pied du mastodonte, ce sera pour le retour si retour il y a...

Nous prenons un Turc jusqu'au village prochain : trente ans, lunettes et chapelet, il pue comme un bouc et nous ne sommes pas mécontents de le quitter.Un nuage passe dans son bon regard quand nous refusons d'aller boire le tchai chez lui mais nous n'avons vraiment pas le temps, la frontière est toute proche.

Une grande bâtisse entourant une cour rectangulaire coupée en deux.D'un côté les Turcs, de l'autre les Iraniens ; ces derniers sont les frères pauvres. Etonnant mais vrai.

Les douaniers iraniens essaient de tirer de l'argent de tout. Ils voudraient même nous faire payer les coups de cachet mais Henri refuse énergiquement: on ne dira pas qu'un Iranien aura réussi à rouler un Auvergnat ! ! !

Un Australien vient de faire à peu près notre voyage,il nous parle de la pauvreté affolante des pays où nous allons et de l'état plus que rudimentaire des routes. Mais les paysages, surtout au Cachemire, rachète, parait il, tout cela.

Pressés d'y goûter, nous laissons les douaniers iraniens à leurs uniformes troués et leur recherche de bakchich.La route iranienne, étroite et cabossée descend lentement vers une étape nouvelle et un peu inquiétante de notre voyage.

Mais c'est tout de suite l'émerveillement, elle se faufile entre d'immenses falaises rocheuses auxquelles s'accrochent de charmants villages semi troglodytes.Autour de nous c'est une vie déjà toute différente : les rares plantations sont entourées de hauts murs de terre très arabisants dans leurs formes et leurs décors.Les maisons en terre font penser plus souvent à des huttes qu'à des habitations de sédentaires.

Le type même de l'Iranien, à quelques centaines de mètres, est déjà tout différent de celui des Turcs : les traits sont plus fins, les yeux plus grands et plus veloutés, l'allure plus légère et plus méditerranéenne. Le costume, malgré la pauvreté, semble plus recherché et en tout cas plus propre chez l'homme. Pour les femmes, il est difficile de juger, elles portent de grands voiles sans couleurs, qui les recouvrent de la tête aux pieds.

Nous passons mal à l'aise.Les signes et les sourires que nous échangeons rapidement ne peuvent combler l'abîme des regards. Nous faisons partie de deux mondes bien différents que la faim sépare mieux que n'importe quel rideau de fer.

Est-ce ce sentiment qui nous rendra aussi irritables le soir, installés à quelques kilomètres de la frontière sur un plateau dénudé ? Les discussions s'enveniment et montent à l'aigu.

Allons, une bonne nuit et nous serons de nouveau quatre copains prêts à affronter ensemble trois mois de joie, d'émerveillement, de peines et d'ennuis, trois mois d'un voyage qui se doit d'être formidable.

Dimanche 24 juillet 1960 Tabriz 186 miles

Malgré la présence d'araignées de plus de dix centimètres d'envergure, la nuit se passe très bien pour tous les cinq : en effet l'autostoppeur français, retrouvé la veille au soir, a dormi avec nous.

Nous reprenons la route, trois mètres de large, de la poussière, des trous à droite et à gauche. On nous l'a décrite comme étant une autoroute en comparaison de celle que nous aurons un peu plus loin. Le paysage est toujours aussi pelé, des collines, des rochers, de minuscules buissons, aucun arbre. De temps en temps, une oasis, des peupliers et des arbres fruitiers entourés de murs de terre.Khoi, début d'une infernale sarabande ; tôle ondulée qu'aucune vitesse n'est capable d'absorber. En plus de cela, nous sommes pris dans une tempête de sable rouge. En plein début d'après midi, c'est soudain la nuit, visibilité quasiment nulle, nous avançons à quinze à l'heure au risque de quitter la route. Toutes les vitres sont fermées mais le sable s'infiltre partout, on en respire, on en avale ; en quelques minutes, l'atmosphère de la voiture est intenable : on étouffe. Heureusement cette tempête sèche est bientôt remplacée par la pluie, une pluie lourde qui défonce la route, ravine les bas côtés mais fait notre bonheur ainsi que celui des quelques troupeaux que nous rencontrons.

La pluie a cessé mais le ciel reste couvert permettant une température fraîche et bien agréable.

Toujours la tôle ondulée.Notre véwé n'aime pas ça, elle ne veut plus avancer : on la cajole, nettoyant ses bougies, le carburateur, le filtre à air, elle ne veut rien savoir et continue à se traîner.Puis, soudain, elle reprend courage ainsi que son allure normale.

Nous avions déjà perdu pas mal de temps à cause de la tempête, des barrages militaires où l'on nous réclame nos passeports, de la qualité de la route qui serpente autour de la voie ferrée, voici que le véwé s'y met.

A cause de cela, nous arrivons à Tabriz vers neuf heures du soir, en pleine obscurité.La ville, aux larges avenues que sillonnent de nombreuses petites voitures européennes aux ailes blanches (Les taxis), tout phares allumés, nous étonne par son intense activité, le néon de ses boutiques, la foule des promeneurs.

Nous avons l'adresse d'un Iranien à Tabriz.Renseignement pris auprès d'un policier, cette adresse est celle d'une ville située à soixante kilomètres de là.Un autre type qui semble très bien connaître la dite personne, nous déclare qu'elle habite à un kilomètre seulement et monte dans la voiture.Nous parcourons de nombreuses rues pour aboutir au poste de police.Tout est à recommencer, nous décidons d 'aller dormir dans une école française : notre petit iranien, très renseigné, nous entraîne... au centre culturel.Il n'y a qu'un gardien qui ne parle même pas français. Finalement, nous tombons sur un jeune professeur français, raquette de tennis sous le bras, l'air sportif et direct.Il nous ouvre la porte de sa maison et après avoir bu un whisky et dîné dans sa cuisine, nous nous endormons, complètement crevés.

 

Lundi 25 juillet Mianeh 59 miles

Réveil à neuf heures.Nous profitons du confort de la maison pour faire une grande toilette et une lessive minimum.Les eaux résiduelles pourraient servir d'encre de chine : souvenir de la tempête.

Tout propres, nous partons au consulat de France.Un patio ombragé et plein de fleurs, une jolie jeune femme, la consule.Notre voyage l'étonne :

«  Il n'y a rien à voir en Iran, quant aux gens ils sont fourbes, stupides, menteurs et tenus dans l'obscurantisme le plus absolu par les mollahs, les prêtres musulmans.Le Shah est un médiocre, jouet de la cour.Notre Farah voudrait faire quelque chose mais semble peu écoutée ».

Même son de cloche auprès du consul qui nous montre une carte de la région de Tabriz, nous donne quelques conseils et nous souhaite bon voyage.

Retour à la maison : notre jeune prof nous attend frais et joyeux, il vient de disputer un match de tennis avec une très belle américaine.Repas simple mais très agréable : salade de tomates et concombres, spaghettis, fruits.

Lui non plus n'aime pas les Iraniens qu'il considère comme une race dégénérée.Son dédain est tel, qu'installé depuis neuf mois à Tabriz, il ne parle pas un mot d'iranien.Il aspire d'ailleurs à quitter l'Iran pour le Japon où il pense certainement ne plus faire tintin.Et puis son boulot est fatigant, enseigner mille trois cent mots français par magnétophone et projecteur à dix huit Iraniens pendant deux heures le matin et deux en fin d'après midi, c'est trop, après le tennis et la natation.

Il nous quittera en déclarant : « je suis occupé cet après midi, je dois aller à la piscine ».

Conclusion : l'Iran est un pays allant à la dérive avec le Shah et sa cour comme guide.Le secours viendra malheureusement, très certainement du communisme avec lequel flirte déjà une jeune élite. Ouvrons nos yeux.

Nous chargeons le véwé, vidé de nos affaires la veille et après quelques rapides courses allons faire le plein d'essence. Un car multicolore est à coté de nous, les voyageurs descendent par les fenêtres et l'essence prend le même chemin. Une photo, ils se mettent au garde à vous et saluent.

Sur la route, grimpés sur les marches pieds ils sifflent en nous dépassant.Voilà, parait il, le travail des Mollahs : rendre le plus abrutis possible ces jeunes gosses aux mines éveillées (quelques uns) en leur prêchant qu'apprendre à lire et à écrire est un péché et en conservant de vieilles coutumes telle que celle dont nous avons raté de quelques jours, la célébration . la choura, l'anniversaire de la mort du prophète Hossein: il est de bon ton de se vêtir de noir, de se flageller le dos et de se taper sur le crâne le plus violemment possible.Quant aux mollahs, ils pleurent à chaudes larmes pendant quarante jours soit un dixième de l'année.Belle performance !

La route sans être très bonne est meilleure que la veille.I1 fait très beau sans que la chaleur soit accablante : nous sommes à quinze cent mètres d'altitude, lacets sur lacets nous grimpons à travers les montagnes pelées habituelles.De temps en temps,un oasis et un petit village de terre.

A sept heures, arrêt sur le bord d'un ruisseau, sur une herbe rase bien agréable. Au menu, aubergines, tomates et courgettes, crêpes à la confiture.Radio Monte Carlo et le lit.

 

 

Mardi 26 juillet Garzin 253 miles

Réveil à six heures trente, nous devons rattraper la matinée de Tabriz et nous rapprocher de Téhéran. La vitesse est malheureusement incompatible avec la désastreuse tôle ondulée que nous aurons à subir pendant toute la journée et aux incessantes montagnes russes qui jalonnent les cent premiers kilomètres. La véwé tremble de tous ses membres et se déglingue petit à petit. Nous sommes même obligés de mobiliser une caisse pour la remplir: vis, caoutchouc, poignées, etc... En plus de cela, il y a la circulation : d'énormes camions ex américains dont le chargement atteint en moyenne cinq mètres de haut. Chaque virage est un suspense : tombera, tombera pas.... La suspension prend un angle inquiétant mais résiste, miracle de la mécanique.

Les doubler est aussi risqué, cela se fait à grands coups de klaxon : je vais dépasser (de nombreux coups), tu peux dépasser (un ou deux coups), je te salue, je te remercie (un coup), merci de m'avoir remercié, on peut continuer ainsi très longtemps.C'est la politesse

orientale, la main sur le coeur et les courbettes à l'heure de l'automobile.

Ceci ne les empêche pas de nous doubler dans les endroits les plus dangereux et de nous croiser en laissant à peine la place du véhicule. Polis mais pas prudents, sinon nous serions en Angleterre.

La montagne a fait place à une large plaine désolément plate sans le plus petit arbre, une route droite et blanche à perte de vue, des champs ou la steppe pendant des centaines de kilomètres.

De temps en temps, une masse de terre avec quelquefois un ou deux arbres, c'est le motel, restoroute, café : une salle sombre et fraîche, des bancs larges et bas recouverts de vieux tapis, dans le fond un bat-flanc de terre, dessus de vieilles bouilloires sans forme, on y prépare le tchai.On le boit tranquillement, l'Iranien plus réservé que le turc nous laisse en paix.Le prix n'est pas à débattre, le touriste donne ce qu'il veut, moyen correct de le voler.

Une ou deux villes : une large avenue goudronnée, avec de chaque côté une série de portiques abritant tout autant de boutiques où l'on semble pouvoir trouver de tout mais certainement des mouches, une circulation intense, jeeps, camions, vélos, charrettes, ânes, piétons, mollahs en gandourah noire ou brune et chéchia, policiers et officiers en uniformes chamarrés.Nous passons sans nous arrêter, la moyenne avant tout.

D'ailleurs, ici, si l'on n'est pas pressé en tant que citoyen normal à deux pattes, tout change quand on a un accélérateur sous le pied.A tel point que lorsque la route exécute un trop large tournant, on préfère couper à travers champs.Même topo lorsque la tôle ondulée est trop forte, on descend sur les bas cotés où à travers champs. Ce qui fait qu'on peut aller à Téhéran comme à Rome, par plusieurs chemins.

De temps en temps, c'est assez agréable.A une centaine de kilomètres de la capitale, le goudron remplace la terre, pendant peu de temps et la nuit tombant nous nous écartons dans les champs pour installer notre campement.

Une pluie assez forte interrompt notre repas : soupe et poisson.

 

 

Mercredi 27 juillet 1960 Téhéran 136 miles

En route vers Téhéran par une large avenue goudronnée où l'on peut enfin faire un peu de vitesse.Puis la ville, stock car à l'orientale, il faut naviguer avec méfiance dans ce fouillis désordonné, cette ruée de tout ce qu'une ville peut compter comme véhicules et comme mobiles : de la chèvre au car à deux étages, des vélos qui s'effondrent soudain devant soi sans prévenir, aux taxis dont le seul but et de doubler le confrère de devant, des femmes voilées aux matrones déguisées en parisiennes, des costauds se tenant par le petit doigt aux voitures américaines dernier cri.

A notre grand étonnement, Téhéran, par ses larges avenues perpendiculaires (les kiaban), ses quelques grands immeubles, son intense circulation, est une ville tout à fait européenne, peut être la première grande ville depuis Munich , pourtant avec certaines différences comme ces femmes occupées à faire leur lessive dans les caniveaux

Mais il nous faut nous occuper de nombreux problèmes, tout d'abord le consulat.Le consul, un grand type d'allure distinguée et désinvolte nous reçoit sans façons :

« C'est moi le consul, ça vous déçoit, tant pis.N'attendez rien de moi, mal payé, je fais mal mon boulot.Alors que voulez vous? De l'argent? Quelle idée ! Ah bon, heureusement... Voir l'impératrice, vous n'y pensez pas.

Téhéran, rien à y faire, deux musées corrects, des femmes aux seins tristes en goutte d'huile.N'allez pas au bain, vous risquez de vous faire empétarder. Voila, si vous avez besoin de moi, n'hésitez pas, c'est mon boulot.

Bon voyage, à votre retour je vous offrirai du whisky. »

Des lettres nous attendent ainsi qu'un colis, vingt cinq films envoyés par Signas ; Pepère va pouvoir commencer son boulot.

Pendant ce temps, Hubert est parti à la recherche d'une connaissance qui pourra nous venir en aide dans cette grande ville inconnue.A deux heures, nous la rencontrons à la sortie de son bureau (ici, on travaille de huit heures du matin à quatorze heures sans discontinuer et on est libre après), c'est un jeune ingénieur à l'air sérieux et un peu timide mais avec lequel nous nous sentons tout de suite à l'aise.

Avec lui, nous traversons Téhéran pour nous diriger vers le nord, vers la gigantesque toile de fond de l'Alborz, grande muraille rocheuse dénudée contre laquelle vient buter la ville.

Quelques kilomètres, nous arrivons devant une maison de briques donnant sur un jardin où se trouve une piscine.Nous avons à peine serré la main de la charmante maîtresse de maison que nous sommes déjà à l'eau.Le repas nous permettra de faire connaissance.

Pierre, chef de famille à l'air calme dirige les cinq gosses : Pascale une aînée turbulente de six ans, Nicole la secrète au coeur tendre, Francis le musicologue, Sylvie petite mécanique en mouvement perpétuel et enfin Marc le dernier de six mois, le silencieux qui boit son biberon tout seul et se laisserait facilement oublier.Cinq marmots bronzés et délicieux, yeux bleus et cheveux de paille, cinq petites vies heureuses qui nous conquièrent tout de suite.A la tête de tout cela il y a Janick jolie femme d'allure sportive, douce mais énergique, d'une jeunesse telle que l'on ne peut croire à ses cinq grossesses.Ce charmant couple et sa délicieuse marmaille nous prennent dans leurs filets et nous nous demandons déjà comment nous pourrons avoir un jour, malheureusement trop proche, le courage de les quitter.Nous passons toute notre après midi avec eux, barbotant dans l'eau avec les deux aînées, nous laissant aller à la douceur de cette hospitalité.Le soir, restaurant iranien (salade de tomates et concombres, poulet grillé, yaourt, galettes) puis promenade jusqu'au Dorban, point haut de la ville.

Nous rentrons pour aller dormir sur la terrasse, un peu nostalgiques de tant de bonheur.

Jeudi 28 juillet Téhéran

Saut dans la piscine au réveil.Courses en ville : la voiture à porter au garage pour une nécessaire révision, visas à demander à la police puis au service de la sécurité.Pour cela nous employons les taxis aux ailes blanches : nous ne sommes pas des poules mouillées, pourtant cette course éperdue, ces coups de freins brusques, ce stock car sans règles ; ne sont pas faits pour nous tranquilliser.

Pourtant nous nous en sortirons sains et saufs, nous étant faits seulement un peu roulés sur les prix.Ces va et vient à travers Téhéran se terminent à l'Institut Pasteur.

Nous avons une recommandation pour son directeur, le docteur Balthazard : grand personnage tout vêtu de blanc, maître tout puissant dans le royaume qu'il a construit lui-même et dont il nous fait admirer très fier tous les perfectionnements, le conditionnement, la décoration et tous les petits détails auxquels il a pensé pendant des années.

Il nous parle de sa belle voix grave et sure et nous l'écoutons nous exposer ses idées puis la liste des découvertes qu'il a faites en Iran, la description des villages du désert où la ventilation se fait par manches à air et décantage de l'air dans les puits, ce qui permet une étonnante fraîcheur dans ces maisons enterrées dans un sable où la température est intenable.Puis la façon astucieuse de capter l'eau,la richesse inappréciable dans ces pays et de la faire circuler sur des kilomètres par un système rudimentaire mais efficace de puits et conduites en terre, ceci par un travail ahurissant de fourmis.Il poursuit par la description des moulins d'Ispahan, la meule tirée dans l'obscurité par un pauvre dromadaire qui tourne en rond pendant des journées entières, les yeux bandés, machine docile et douloureuse à l'univers de poussière.

Nous étions venus pour nous faire vacciner et ce docteur au visage bronzé et aux beaux cheveux blancs, nous donne un cours d'architecture...

Nous le quittons pour rejoindre notre havre : plongeons, ping-pong, volant encore une journée qui va passer bien vite.Puis ce sera le soir, l'écoute de Bach dans la grande pièce calme et sombre.Les pensées de chacun s' envolent.0ù ?

Vendredi 29 juillet Téhéran

Onze heures du matin.

Balthazard vaccine rapidement... nos carnets d'un coup de cachet et préfère nous faire visiter sa demeure, une demeure à l'échelle de son tempérament, d'immenses pièces hautes en couleur, beaucoup d'allure, du prix, des objets de grande valeur.

Il manque cependant une étincelle, celle que l'on trouve à quelques kilomètres de là.

Une piscine olympique (que peut on faire à Téhéran sans piscine ?), nous y plongeons jusqu'à une heure de l'après midi.

Salut peu enthousiaste aux portes des quatre palais de la ville : ceux du Shah, de son premier ministre, de son frère, le palais de marbre. Allons retrouver nos gosses, la fraîcheur de la terrasse et « Madame » qui nous attend avec impatience, les petits gosses dorment, il lui faut les grands.

Nous nous sentons quand même un peu gênés; nous vivons en parasites, nageant, buvant, jouant et attendant notre pitance, les pieds sous la table. Comme l'on peut quelquefois se sentir coupables et impuissants à se racheter, si inutiles et encombrants.Pierre n'aimerait il pas retrouver un peu de calme après ses heures de travail et non ces quatre gaillards vautrés dans ses fauteuils ? Nous le retiendrons même assez tard par des discussions oiseuses.

Pauvre Eric, seul à défendre ses chères théories, il s'embrouille et devient fumeux.

La terrasse, son ciel étoilé...

Samedi 30 juillet 1960 Téhéran

Pepère et Henri descendent en ville s'occuper de la véwé : la pauvre est retapée mais il lui a fallu, pour cela, quatre amortisseurs neufs et un petit examen médical ; le tout nous coûte trois mille rials.

Pendant ce temps, Hubert et Eric après s'être occupé chacun de leur coté, sortent les matelas pneumatiques à la grande joie des gosses qui se laissent flotter dessus. A quatorze heures ce sera le tour des grands et l'occasion d'une bataille navale acharnée à laquelle Janick prendra une part active.

L'après midi se passe dans le calme à écouter de la musique puis viendra le soir: préludes et concerto pour piano de Rachmaninov, concertis brandebourgeois, septième symphonie Toscanini née Beethoven.

 

dimancne 31 juillet Teheran

 

La fin de ses magnifiques vacances en vacances arrive.Nous partons en véwé visiter le tombeau de Réza Shah ; fermé, nous prenons en photo la petite coupole dorée et ses massifs minarets, un canada dry dans une tchai khaney ; Golestân fermé, nous nous rabattons sur le bazar, vente d'objets relativement neufs et sans intérêt dans le cadre habituel, obscurité et fraîcheur.N'ayant rien â acheter nous nous asseyons dans une petite ruelle animée pour ingurgiter quatre tchais. Ping-pong, volant et piscine, cigarettes et musique.Véwé est avancée, il est huit heures du soir, tout le monde trie, range, installe.Comme à Genève nous laisserons un tas informe de choses inutiles ; de là à conclure que, si ces arrêts étaient plus nombreux, nous nous retrouverions à poil dans une véwé déserte et peut être pas plus malheureux. Mais pour cette fois, le barda est encore imposant et nous irons nous coucher avant d'en être venus à bout.

Pierre et Janick participent aussi au travail, triant les médicaments, nettoyant nos souliers et nos costumes, un peu comme s'ils partaient avec nous.Nous en éprouvons à la fois une certaine gène et du plaisir: si l'on nous regrette c'est que nous avons quand même apporté quelque chose.

 

Lundi 1 août Amal 189 miles

 

Réveil à six heures trente puis dernier petit déjeuner ensemble, du moins avant d'autres dans un mois ou deux.

Puis , ce sont les adieux ; Pierre part à son bureau.Comme avec Janick quelques minutes plus tard, nous sommes gênés par la carence et la banalité de nos phrases.Comment exprimer par des « merci beaucoup » et des « au revoir », la somme de bien être et de bonheur que nous avons accumulée ici. Même nos sourire sont bien pauvres devant les yeux humides de Janick, entourée de ses trois aînés.Ce n'est pas une simple image de vacances que nous emporterons avec nous mais le souvenir d'heures qui compteront certainement dans nos vies.Il y a cinq jours nous étions étrangers ; un voyage a quand même du bon...

La vewe s'ébranle, derniers signes, un tournant, la descente vers Téhéran, nous avons une visite à faire: monsieur Fourozi grand pontife de l'architecture iranienne.

Taille moyenne, bien habillé, le type iranien cultivé, il nous entraîne dans un salon, une grande salle sombre et fraîche où sont exposées les nombreuses pièces d'une collection qui est, parait il, unique.

Ce sont d'antiques poteries, des statuettes en argent, enfin une foule d'objets de valeur avec lesquels nous n'avons pas le temps de faire plus ample connaissance.

Fourozi part en voyage avec nous, suit notre itinéraire et nous décrit tout ce que nous aurons à voir, les mosquées de Meched, les voûtes d'Ispahan, les jardins de Shiraz, les ghanats de Kachan. Qom ? Peu intéressante cette ville qui importe des cadavres et exporte des mendiants ; commerce florissant entre tous mais qui, parait il, ne procure pas une belle mentalité.Nous l'écoutons ainsi pendant une heure, dégustant un tchai servi dans des tasses d'argent.

Enfin, nous quittons Téhéran pour Karejal et l' Alborz, une gigantesque masse de roches dont la stratification très nette, accentue encore l'écrasante énormité.La route, timide, se faufile à travers l'immense bouillon pétrifié.Asphalte puis terre ; un barrage va venir s'insérer dans la gorge que nous suivons ; il faut grimper, traverser des tunnels, redescendre.Des éboulis traversent la route mais les bulldozers ont vite fait de tout remettre en place, nous passons.

Une rivière coule à travers ce paysage pelé et quelques villages s'en abreuvent, de jolies maisons plates, des femmes aux costumes colorés, très vifs.

La véwé a une petite défaillance puis se reprend jusqu'au tunnel qui marque le point culminant de cette ascension : mille huit cent mètres de noir complet, deux mille huit cent mètres d'altitude, deux portes à chaque extrémité, nous voici de l'autre côté.La descente s'amorce ; une végétation, d'abord timide puis de plus en plus dense, s'accroche maintenant à la roche qui perd sa sévérité et se colore en rouge.Nous dévalons sur une route creusée en corniche, écrasée par des surplombs vertigineux, deux mille huit cent trente mètres de descente.

Nous traversons nos premières forêts depuis longtemps : chênes, hêtres, platanes, figuiers, une petite route de campagne française. Enfin, la Caspienne, plate et bleue, chaude et lourde, première mer depuis la Marmara et dernière avant deux mois, nous y évoluons longuement. première mer depuis la Marmara et dernière avant deux mois, nous y évoluons longuement.

Puis nous reprenons la route sablonneuse et poussiéreuse, bordée d'arbres plus ou moins rabougris où se cachent de belles maisons en bois couvertes de chaume.Nous prenons quelques photos mais ne nous attardons pas : nous n'arrivons pas à discerner les véritables intentions de la foule houleuse qui nous entoure. Pourtant il y aurait de belles photos à prendre des femmes aux costumes bariolés, accroupies sur les balcons autour de chaudrons.

D'ailleurs des femmes et des gosses nous en verrons de semblables tout le long de la route jusqu'au champ de riz où nous irons camper en faisant tanguer le véwé.

 

Mardi 2 août Chahpasand 204 miles

De nouveau cette route toute plate.Le sable se fait plus rare, il n'y a plus de dunes envahissantes, plus de ponts effondrés à cause de la mauvaise qualité du sol, plus d'énormes trous qui nous obligent à de vastes détours à travers les villages.Maintenant la tôle ondulée familière démantibule la voiture et le conducteur ne sait plus à quel saint se vouer.Nous ne la quittons que pour la traversée des villes telles qu' Amal, Babol, Chahi, Sari où les rues principales très larges, bordées d'échoppes, se couvrent d'asphalte.

Particularités des villes iraniennes : des ronds points aux sorties et au centre de la ville avec presque chaque fois, la statue dorée du Réza Shah.

Tout à coup la voiture ne tire plus du tout, réserve, rien n'y fait.Le moteur est bouillant.Motif : la courroie du ventilateur est déchiquetée.Nous la changeons rapidement mais au coup de démarreur c'est l'affolement : le moteur tressaute, fait un bruit du diable, et ne tourne certainement pas rond.Le diagnostic est malheureusement unanime: nous avons au moins coulé une bielle.

Atterrés nous calculons le nombre de kilomètres pour Téhéran et supputons nos chances d'y arriver sans démolir plus complètement le moteur.Ce n'est pas que nous ayons assez de la Kutche Etachan Mié mais vraiment ce retour à Téhéran ne nous enchante guère.

Nous décidons de vérifier nos impressions en analysant l'huile du bloc moteur.La vidange ayant été faite par chance la veille nous aurons un résultat sur.

Nous la laissons décanter dans la cuvette et à notre indicible joie rien n'apparaît dans le fond. Sauvés, nous repartons vers l'est mais d'abord vers le bord de la mer, à Bandar Gas pour un dernier bain. Malheureusement il semble que l'on ait pied sur une très longue distance et les abords écumeux n'ont rien d'engageant.Nous retournons sur nos pas mais dans la ville deux policiers nous arrêtent et visiblement en veulent à nos visas.Nous les leur présentons mais ils ne savent pas les lire et doivent aller chercher l'intellectuel du coin qui passera une bonne demie heure à recopier en farsi nos noms et l'itinéraire choisi.

Pendant ce temps la foule s'est amassée autour de la voiture.Les flics semblent ennuyés et repoussent les trop entreprenants ; dans leur désarroi ils vont même jusqu' à nous offrir des cigarettes.Mais leur gentillesse ne nous retient pas et dés que possible nous allons retrouver l'agréable tôle.

Surtout la poussière d'ailleurs.En effet, elle s'engouffre avec frénésie dans la voiture et les deux fenêtres arrière dont nous avons ôté les vitres, l'y invite généreusement. les lourds camions que nous doublons ou qui nous croisent, l'aident d'ailleurs copieusement.

Entre deux nuages, nous pouvons apercevoir les gens du coin, Turcomans coiffés de bonnets en astrakan et montés sur de robustes chevaux à la crinière folle et aux yeux pleins de rêves sauvages.Femmes en pantalons noirs et chasubles multicolores, portant leurs gosses dans le dos et d'immenses paquets sur la tête. Nous prenons photos sur photos, ce qui les effraie au point que leur chargement manque plus d'une fois de rouler dans le fossé.

Longeant la chaîne boisée de l'Alborz depuis la veille, nous nous y enfonçons soudainement et la nuit arrivant, nous nous introduisons avec la véwé sous les arbres.Nous passerons la nuit dans une minuscule clairière en pente, le ventre plein d'un délicieux repas.

 

Mercredi 3 août Ab-e-anabar 109 miles

 

Douze heures de repos, petit déjeuner habituel (nescafé, lait condensé, sucre, pain et confiture de mirabelles) et départ pour une étape que nous espérons moins ennuyeuse que la précédente.

C'est d'abord une vallée étroite où l'on cultive le riz et où nous nous arrêterons plusieurs fois pour prendre des photos et commencer notre film. C'est un cheval tournant en rond pour battre le riz puis de vieux paysans aux visages basanés, leurs chemises rouges se détachant sur le vert vif du riz, les meules fichées sur quatre piquets. Peu après, le paysage se dénude de nouveau et la route grimpe lentement pour entamer notre second passage de l'Alborz par un col assez élevé.

Descente vers Charroud, nous croisons nos premiers ghanats, trous espacés de vingt mètres environ et profonds d'autant.Dans le fond on aperçoit l'eau qui s'écoule lentement.De temps en temps, ce sont des châteaux de terre, des châteaux de sable géants avec quatre tours aux angles et des murs crénelés.L'intérieur est vide, royaume des illusions perdues sans belle au bois dormant et sans bois du tout.

Un bruit de vitre qui se brise, la voiture tangue et s'immobilise en travers de la route.C'est un de nos pneus, bien des plus précieux, qui vient d'éclater…

Charroud, ville iranienne comme toutes les autre, une grande rue asphaltée bordée de platanes et des rigoles où coule l'eau des ghanats. Nous cherchons des œufs mais tombons sur des policiers (il y a certainement un rapport entre les deux).Ils en veulent à nos visas.Henri entre avec eux dans un commissariat.Trente autres clowns, déguisés en force de l'ordre, somnolent sur des bancs (comme à Paris) mais se fichent au garde à vous dès son entrée et resteront ainsi jusqu'à son départ (plus comme à Paris !)

Le nombre des policiers est une des choses les plus particulières à l'Iran et l'on ne peut faire cinquante mètres dans une ville sans apercevoir l'un de ces privilégiés du sort vêtus par l'état pour ne rien faire.Pepère et Henri font un rapprochement entre ce métier et celui de chroniqueur, ce qui n'est pas du tout de l'avis d'Eric.

Route vers Mechhed qui se trouve maintenant à cinq cent kilomètres de là…Une ligne blanche à travers des steppes plates et désespérantes.Tôle ondulée bien entendu, on a le recours de prendre des petites pistes parallèles à la route mais elles ne durent pas bien longtemps.

Halte en pleine solitude, pas un arbre, pas un buisson mais surtout pas un moustique.

 

 

 

Jeudi 4 août Sabzewar 133 miles

 

Visite d'un caravansérail en ruines où nous passerons près de deux heures à admirer les diverses solutions de construction et le travail merveilleux de la brique.Mais, tout cela manque de vie, nous allons prendre le tchai dans une tchai kaneh enfumée sous le regard de vieux paysans en chéchias.

En effet, maintenant, les costumes se sont transformés : on rencontre beaucoup de paysans en longue robe et turbans.

La route, si l'on peut appeler route cette étroite bande blanche qui suit toutes les courbes et tous les accidents de terrain et sur laquelle notre pauvre véwé souffre le martyr.

Vers cinq heures, nous arrivons à Sabzewar où habite un pharmacien pour lequel nous avons une lettre de recommandation.On nous introduit dans son officine, une échoppe comme tant d'autres en Iran, pleine de monde , de mouches et de bruit.Notre homme en blouse blanche crasseuse, un peu ahuri, nous salue bien bas et nous entraîne aussitôt chez lui, une maison bien iranienne : une large cour avec bassin et arbustes et, dans le fond, l'habitation, de grandes pièces blanchies à la chaux avec des tapis pour tout mobilier.Aux murs des réclames pharmaceutiques, des calendriers et des pin up.Madame, courte et grasse, donne le sein à son dernier sans inutile pudeur, ce qui nous surprend, habitués que nous sommes à voir ces dames voilées jusqu'aux yeux dans la rue.A coté d'elle, le samovar avec lequel elle prépare le tchai que l'on prend à toute heure de la journée.

Le pauvre pharmacien ne sait comment intéresser ces quatre occidentaux et nous balade à travers la maison nous expliquant le pourquoi de chaque chose.Pendant ce temps, on a sorti dehors l'unique table et toutes les chaises disponibles et l'on nous invite à prendre place, melons,pastèques et tchai nous attendent.Ainsi d'ailleurs qu'une armée de curieux : notre arrivée a fait sensation et tout ce que la ville compte comme types parlant deux mots de français, un peu d'anglais, ayant une cravate ou naturellement beaucoup de curiosité, est réuni dans cette cour.On nous adresse la parole, c'est-à-dire :

« comment allez vous, monsieur ? »

ou plus simplement :

« salam aleikum »

Nous répondons de notre mieux et le dialogue s'arrête là.Il ne nous reste plus que les sourires et les hochements de tête et ceci jusqu'à l'arrivée du prochain personnage et la répétition du même scénario.

Heureusement la nuit tombe et les importuns s'en vont.

La cour se remplit alors de matelas, de couvertures bariolées et de traversins car, ici, tout le monde dort dehors.Nous sortons nos matelas pneumatiques et nos sacs de couchage au grand étonnement de nos hôtes qui se roulent dessus comme des gosses.

C'est enfin le dîner.Nous sommes cinq autour de la table, nous quatre et le pharmacien.Les enfants font le service tandis que Madame reste à l'écart.Au menu, riz au safran, omelette aux tomates et galettes.Quant à la boisson c'est de l'eau servie dans les deux uniques verres que compte le service.

Pendant le repas notre hôte s'avère un joyeux compère, très bavard et intéressant.Il nous décrit les coutumes, nous donne des conseils, nous expliquant comment le riz ne donne pas « de la fortification « ou comment l'on peut se défendre des serpents en entourant la tente de « la DDT ».

Cela nous mène à onze heures et nous sommes heureux de trouver un peu de calme au fond de nos duvets.

 

 

 

Vendredi 5 août Sabzevar 10 miles

 

Pour la matinée, nous avons prévu la visite de villages des environs où nous pourrons étudier de près les manches à air dont nous a parlé le docteur Balthazard.

Le premier est un petit village comme les autres entouré de murs de terre et perdu dans le désert.En dehors la chaleur est intenable mais dès que l'on passe la porte d'entrée, tout change ; l'eau coule claire et fraîche au milieu des arbres fruitiers et de la vigne tandis que de hauts platanes dispensent une ombre et une fraîcheur incroyable.

Au milieu de ce paradis se trouve une vaste maison en terre et bois avec terrasse et colonnes.On nous fait descendre dans une large pièce à quatre absides au centre de laquelle un petit bassin et son jet d'eau ajoute à la fraîcheur que procure la ventilation ; l'air capté par les manches à air, descend et circule sous le sol où il se refroidit puis pénètre dans la pièce.Ce système ingénieux donne une atmosphère qu'il serait impossible de trouver en été dans nos immeubles modernes.

Nous allons repartir lorsque apparaît le maître de maison ; nous sommes obligés de nous asseoir à l' ombre des arbres et de déguster les raisins, concombres et tchai que l'on nous apporte sans arrêt : un plat de raisin est il entamé, on l'enlève pour le remplacer par un autre.Nous en avons vite assez craignant les suites courantes ( !) de ces agapes. Mais la maîtresse de maison nous fait dire qu'il faut se bourrer jusqu'à ce que notre ventre soit prêt à éclater.Le conseil n'est peut être pas bon mais il est sincère, le ventre de la dite personne étant en très bonne voie.

Ensuite c'est la visite du verger et nous déclinons l'invitation à déjeuner pour prendre le chemin d'une autre habitation.Celle ci se trouve en pleine ville, elle est encore plus luxueuse : la manche à air est une véritable tour décorée comme un clocher florentin. Elle est divisée verticalement en quatre parties ce qui permet de capter l'air quelque soit la direction du vent. Nous grimpons sur les toits ce qui nous permet de prendre de belles photos plongeantes dans les ruelles avoisinantes et en particulier celles d'une magnifique fillette tenant un bébé dans ses bras. Dans les caves on nous fait admirer de gros tonneaux de terre, silos à grains qui font penser au film d'Ali Baba.

Harassante matinée, nous sommes heureux de retrouver la maison de monsieur Tharavi et le déjeuner qui nous attend. Nous nous installons tous dans une pièce, accroupis sur le tapis autour d'une natte où sont placés les aliments : viande hachée, galettes, melons, pastèques et raisins.Nous faisons honneur à ce festin iranien ce qui nous fait, ensuite, accepter avec empressement la proposition d'une sieste.

On nous a invité à nous étendre sur de légers matelas dans une grande pièce rafraîchie par un petit bassin.Une unique mouche trouble le calme de la pièce. Noblesse oblige, nous sommes chez un pharmacien, nous serons impitoyablement flytoxés.Quant à la mouche…

Une heure après nous nous installons pour écrire quelques lettres mais l'heure des visites amènent des flopées de visiteurs et les mêmes cérémonies recommencent :

“  mister, where are you going ? “

“Mecched, Herat, Kabul, etc...”

“ Oh yes, very good!!!”

sourires et silences jusqu'au prochain “  mister, where are you going ? “

Comble de joie, un professeur d'anglais arrive et tient à prouver à ses élèves qu'il se débrouille admirablement dans la langue d'Allbion :

“  mister, where are you going ?  “...

Nous retrouverons ce bel intellectuel le soir même, juché sur sa vespa, il nous entraînera jusqu'à sa maison, tas de briques et de terre entourant une machine à écrire et trois chaises métalliques.Un tableau noir trône dans la cour minuscule, Eric y gribouille un rapide dessin.Geste malheureux, le professeur va chercher sa vespa et un bout de papier et se veut représenté, casqué, botté sur sa monture mécanique pour s'afficher et décorer son salon.Auparavant, nous avons visité deux ou trois vieilles mosquées sans intérêt avec une demi douzaine d'admirateurs que nous sommes obligés de trimballer dans la véwé.

De nouveau, la nuit venue, nous serons heureux de retrouver notre lit.

 

Samedi 6 août Mecched 194 miles

 

« Monsieur, il est temps.C'est bon pour le soleil »

Il est cinq heures trente du matin.Nous rangeons notre matériel, prenons le petit déjeuner, quelques photos de la famille, l'heure des adieux est arrivée ; nous tendons nos mains mais monsieur Tharavi, les larmes aux yeux, se précipite et nous embrasse chacun sur les deux joues dans un élan vraiment émouvant.Brave homme, nous garderons un bon souvenir de son accueil simple et amical.

Route de Mechhed, de nouveau la tôle ondulée, la poussière et le soleil.Nous roulons cependant assez vite et arrivons à Mechhed vers le début de l'après midi.Rapide tour du sanctuaire : on peut admirer de loin les coupoles en or, les minarets et les merveilleuses portes couvertes de céramiques et de faïences mais toute photo est impossible.Même dans la rue, Hubert se fait accrocher pour avoir porté son appareil à l'œil.Nous sommes dans une ville sainte, centre de fanatiques, réceptacle de toutes les races, il vaut mieux ne pas insister.

D' ailleurs quelques minutes plus tard nous aurons le spectacle d'une bagarre qui n'a rien d'une partie de plaisir.On s'empoigne par tout ce qui dépasse et ce qui pend et on tire et on tord…Quant à nous, nous partons.

Il nous faut graisser la voiture, nous profitons de la présence d'un garage Volkswagen pour examiner de plus près notre suspension.Après de nombreux palabres ,une colère de Pepère, pas mal d'hésitations et de contre indications, nous faisons démonter barres de torsion et amortisseurs.L'ensemble s'avère fichu : les amortisseurs ont la consistance de la guimauve, quant aux barres de torsion, elles sont fêlées.La réparation débutée à quatorze heures, se terminera vers vingt heures.Nous nous en sortons à onze cent rials ce qui n' a rien de trop catastrophique.

Entre-temps Hubert et Eric sont allés rendre visite à un docteur ami de Tharavi.Ils sont reçus dans le cabinet de consultations du personnage qui leur fait de grands sourires mais les expédie assez rapidement.

Il fait déjà sombre quand nous quittons le garage avec l'intention de sortir de Mechhed en direction de l'Afghanistan.Facile à dire ; tous les renseignements que l'on nous donne sont différents.A un rond point, un policier nous indique une avenue.Nous la suivons et débouchons sur un autre rond point.Par acquis de conscience nous demandons à un autre policier qui nous indique la direction d'où nous venons.Le jeu est très drôle mais lasse vite et après avoir fait très ample connaissance de tous les ronds points de Mechhed, nous embarquons un volontaire, policier costaud et bon enfant ; il éclate d'un rire sonore et puissant à chacune de nos paroles.Il nous accompagnera jusqu' à un village situé à une dizaine de kilomètres, nous offrira le tchai et nous quittera après nous avoir broyé les mains.

Nous continuons quelques kilomètres encore puis coupons à travers la steppe pour aller dormir.

Tout à coup, surgit de l'ombre un cavalier qui nous arrête.Il semble n'être inquiet que de notre sort et acceptera avec plaisir le thé que nous lui offrirons un peu plus tard.

Dimanche 7 août frontière 153 miles

 

Nous prenons la direction de l'Afghanistan sur une route où ne passe plus un seul car ni un seul camion.Seuls quelques cavaliers solitaires. Soudain c'est une tribu qui nous précède sur la route, les femmes sur des ânes, les hommes sur des chevaux.Nous les doublons et commençons à prendre quelques photos mais les cavaliers accélèrent l'allure et viennent entourer la voiture. Nous leur faisons de grands sourires mais augmentons sournoisement notre vitesse.Les cavaliers sont toujours là et nous ne savons plus que penser : veulent ils nous faire la valise ou simplement se piquent ils au jeu ? Grands gaillards moustachus couverts de longs voiles ils n'ont rien de très rassurant.Un homme brandit même un couteau.

De temps en temps, l'un d'eux nous double comme pour nous couper la route puis s'éloigne. Le jeu continue assez longtemps ainsi jusqu'à ce que leurs chevaux commencent à se fatiguer et c'est avec soulagement que nous voyons leurs silhouettes diminuer derrière nous.

La route redevient plus calme avec la seule présence combien inoffensive des poteaux télégraphiques dont la plupart est la copie fidèle de ceux de Dubout. D'ailleurs les élucubrations les plus folles du célèbre humoriste sont monnaie courante en Iran ; que ce soit les cars bondés, les femmes, les voitures etc....

Un peu plus loin nous tombons sur un village désert et nous en profitons pour pénétrer dans ces petites cités qui nous intriguent depuis la veille : un large quadrilatère est formé par l'accolement de petites cases carrées et voûtées situées autour d'étroites ruelles.L'ensemble forme une petite cité à l'aspect bien engageant. De l'extérieur elle apparaît comme un assemblage de bulles de terre surmontées chacune par une petite anse.L' intérieur est plus complexe, les voûtes étant construites en briques de terre avec en leur centre une manche à air comme nous en avons déjà vues.

Nous passerons près de trois heures dans ces ruines à filmer

et photographier.

Nous poursuivons notre route vers la frontière à travers une région qui devient de plus en plus intéressante, les habits à l'européenne disparaissant de plus en plus, remplacés par des costumes bariolés aux très belles couleurs : bleu pastel, ocre rouge, violet...

La douane, un peu d'appréhension, mais tout se passe pour le mieux.Eric poursuivant la réalisation de sa carte sur la carrosserie, les douaniers s'y intéressent et la litanie bien connue reprend: « Paris, Ankara, Meched... » Depuis longtemps nous avions compris que les sourires sont les meilleurs laisser passer et nous nous en donnons à coeur joie.D'ailleurs ces iraniens semblent assez intelligents,parlent même un peu anglais et nous arrivons assez bien à nous faire comprendre.Nous apprenons que la 2 cv. des types qui font presque le même voyage que nous vient de passer la veille.Nous laissons un mot pour la deuxième 2 cv qui devrait passer dans quelques jours et nous nous dirigeons en pleine nuit vers la frontière afghane par une piste qui ne doit pas souvent voir de clients. Barrage militaire iranien : on nous réclame passeports et certificats de vaccination.

Un peu plus loin, barrage militaire afghan: on nous réclame ...des cigarettes ...Hubert présente le paquet au soldat qui sans complexes en empoigne 3 ou quatre.

Enfin, la douane afghane : une bâtisse de terre ou luit une lampe à pétrole, deux vieux afghans barbus en chéchias et sarouals qui font leur prières, deux soldats à l'air rogue.

Nous sommes en Afghanistan, huitième pays de notre périple, certainement le moins occidentalisé et le moins connu.

Un soldat disparaît avec nos passeports et nous restons dans la nuit à admirer la souple gymnastique des deux vieux.Le coran a certainement du bon : les deux bonshommes s'assiéent, se relèvent, s'agenouillent, baisent le sol, lèvent les bras, retombent sur les genoux avec une rapidité que nous leur envions.Leurs mouvements étant légèrement désynchronisé, le spectacle est irrésistible.

Retour de nos passeports, nous nous éloignons de quelques kilomètres, glissons la véwé dans une petite ravine qui nous dérobe à la vue des pillards (depuis les cavaliers du matin, nous ne sommes plus très rassurés.) et absorbons les médicaments les plus variés : vitamine C et nivaquine pour tous les quatre, rhinalgol pour Henri et Pepère enrhumés, et pastilles de sel pour tout le monde : la pharmacie va commencer à se vider.

 

Lundi 8 août Hérat 76 miles

Le paysage n'a pas changé avec la frontière : c'est toujours la steppe, la poussière, une piste à peine tracée, les mêmes villages à coupoles. Seuls, les costumes ont changé ;

Nous avons à peine démarré que nous nous arrêtons pour photographier un vieux pont en briques à cinq arches puis filmer un moulin encore tout nouveau pour nous. Dans une tour à moitié échancrée, le vent s'engouffre et actionnes de grandes pales verticales en chaume ; ces pales font tourner un grand axe en bois de dix à quinze mètres de haut:à l'intérieur, une meule en pierre d' un mètre cinquante de diamètre écrase les graines. Nous filmons avec intérêt ces moulins qui complètent avantageusement notre collection.

Un peu plus loin ce seront des puisatiers creusant un trou de ghanat. L'un d'eux, étendu sur le dos, actionne en pédalant un treuil rudimentaire. Celui ci remonte un sac en peau rempli de terre par celui qui creuse le ghanat. Un vieux squelettique soulève le sac et le déverse quelques centimètres plus loin.le travail doit ainsi continuer des mois monotone et dur sous le soleil accablant.Les deux types se laissent photographier et filmer sans même lever la tête et nous permettent de réaliser certainement une des plus belles séquences de notre futur film. Tous ces arrêts et l'état de la route ne permettent pas une grosse moyenne et ce n'est que tard dans la soirée que nous ferons notre entrée dans Herat, ville de cent mille habitants, la troisième de l'Afghanistan. Notre première impression est très agréable : les rues en terre sont bordées de pins qui procurent une ombre dense accentuant encore le calme et la propreté qui y règne.Presque tous les hommes sont tranquillement accroupis et nous regardent passer en souriant.Quelques femmes se promènent, elles sont complètement enveloppées de voiles à petits plis, le visage recouvert d'un masque en tu1le.La circulation se fait à bicyclette et calèches, de belles calèches peintes et dorées dont les chevaux sont parés de pompons rouges.On se croise et se double à coups de carillon. L'ensemble donne une impression de sérénité et de bonhomie.

Les banques sont fermées.Nous allons changer des dollars en afghanis chez un pharmacien (ils ont notre confiance depuis Sabzevar), prenons de l'eau fraîche dans nos bidons, une bonne essence odorante dans nos réservoirs et retournons dans la steppe pour bivouaquer en plein vent.

 

 

Mardi 9 août Sabzawar 63 miles

Le vent a soufflé toute la nuit et une épaisse couche de sable recouvre tout dans la voiture ; ce sable très fin risque d'esquinter nos appareils de photo et nous entamons un grand nettoyage du véwé, tache rendue difficile et ingrate par le vent qui souffle toujours en rafales.

Le travail terminé, la matinée est déjà largement entamée et le passage à la banque accroîtra encore notre retard.Le brave fonctionnaire est complètement perdu, il réclame de nombreuses signatures et finalement metterra plus d'une heure pour changer nos quelques dollars.

Nous faisons rapidement le tour de la mosquée, un grand édifice aux nombreux minarets, construits en briques de terre et recouverts de faïences multicolores.Le coup d'oeil est superbe.

Nous flânons quelques minutes dans les rues et quittons cette agréable ville d'Herat par une route en terre qui sera bordée de pins pendant plusieurs kilomètres.Ces pins sous lesquels coule l'eau claire d'une rigole forme un endroit rêvé pour déjeuner.Au départ le moteur ne tourne pas rond et nous devons nous arrêter un peu plus loin pour permettre à Pepère d'effectuer sa consultation, les autres en profitant pour faire une toilette et une lessive complètes.

Ces deux arrêts nous ayant pas mal retardés, l'étape de ce jour sera une des plus courtes du voyage.

Nous croiserons quelques afghans à cheval et quelques troupeaux avant de stopper pour la nuit.Nous voulons être tranquilles et faisons faire un circuit tout terrain au véwé pour aller nous camoufler derrière une petite colline ! Là, perdus dans une cuvette, nous étendons nos quatre matelas pneumatiques pour une nuit à la belle étoile.

 

mercredi 10 août, jeudi 11 août Ghazni 592 miles

Nos armes camouflées sous nos matelas n'ont pas servies et nous nous réveillons après une excellente nuit.

Sur la route, nous croisons une foule d'Afghans allant à un proche marché montés sur des chevaux et des ânes et nous regardant impassibles.

Les villages bien que construits de la même façon sont agencés différemment, les petites cellules à coupoles sont groupées par huit ou dix et forment autant de petites cités qui se présentent par centaines sur cette large plaine plate.A l'horizon, c'est un véritable décor de Leonard de Vinci, des montagnes déchiquetées surgissant du sol et perdues dans la brume.

Nous nous arrêtons pour tourner une séquence : deux Afghans construisent leur maison.L'armature en briques est terminée, ils la recouvrent de terre.

Autre arrêt, un arbre projette une tache d'ombre bien agréable pour déjeuner.Henri manœuvre pendant cinq bonnes minutes avant de trouver la meilleure place et, comme nous le devinerons plus tard, nous sommes sur l'emplacement d'un cimetière et il éventre plusieurs tombes.Nous aurons une frousse rétrospective en pensant à ce qu'aurait pu être la réaction des Afghans en nous voyant opérer.

Arrivée à Farah, plein du réservoir, quelques courses, nous continuons vers Kandahar.

Le paysage est maintenant très désertique sans même les habituels buissons épineux.Il n'y a plus de villages en terre, mais des campements de nomades c'est à dire des tentes noires et d'immenses troupeaux de chameaux, de chèvres et de moutons.

Les montagnes environnantes sont noires et toujours aussi déchiquetées.Plus rien ne pousse.

Pourtant nous apercevons à quelques dizaines de mètres de la piste une tache violette.Intrigués, nous nous approchons pour nous apercevoir que ce sont de merveilleuses petites plantes : des perles rouges disposées en bouquets.Nous prenons plusieurs photos et en cueillons quelques unes avec l'espoir que nous pourrons les conserver jusqu'à Paris.

La nuit tombe mais nous poursuivons car nous avons l'intention de rattraper le temps perdu ces derniers jours.De plus la chaleur étant vraiment intenable et l'air bouillant nous préférons effectuer le plus de kilomètres pendant 1a nuit.Nous disposons trois matelas pneumatiques à l'arrière et la technique du départ reprend : deux à l'avant, deux à l'arrière étendus avec un roulement d'une heure et demi. Nous roulons ainsi toute la nuit sur une assez bonne route pour arriver à Kandahar à cinq heure trente en plein réveil de la ville.

La grande rue est bordée des habituelles petites échoppes : le propriétaire dort sur le seuil sur un lit de bois, par terre ou sous un dais. Il se réveille, fait sa prière, seul ou en groupe, sur la place puis s'occupe à faire chauffer son samovar, faire le pain ou exposer ses marchandises.En quelques minutes tout le monde est debout et la ville morte à notre arrivée est déjà grouillante d'activité à la sortie.Les palabres ont déjà commencé et on fume assis en rond sur les trottoirs. Des caravanes d'ânes et de dromadaires arrivent chargés de marchandises ainsi que des camions afghans, de véritables poèmes ambulants. Les Afghans.achètent aux américains les châssis et le moteur d'un camion et là-dessus se lancent dans l'élaboration d'une carrosserie en bois qui tient du wagon de 1870 et de la baraque foraine.Les formes en bois sont le plus tarabiscotées possible et le peintre de l'endroit traduit avec le maximum de coloris l'expression de ses rêves les plus fous.Et là dedans on entasse marchandises, hommes, femmes et bétail sur un ou deux étages. Chaque accident un peu violent fait tout de suite une quarantaine de morts...

Quant aux petits incidents on fait preuve du bricolage le plus extravagant: on bouche les trous de carter avec un mélange de raisins secs et de gomme, on remplace le lookeed des freins par du lait condensé.Ce qu'il y a de plus fantastique c'est que cet ensemble abracadabrant arrive à avancer sur les infernales routes afghanes. Entre Kandahar et Ghaznî c'est en effet un véritable enfer.Nous crevons d'ailleurs aussitôt, liquidant ainsi notre troisième tubeless.Ensuite nous roulons sur tout ce qu'on a pu inventer pour démolir une voiture : trous, bosses, creux, cailloux, rochers, tôle ondulée etc.

Tous les ponts jetés sur les oueds ont été emportés et chaque fois le véwé doit rouler dans la caillasse. Nous avons conservés les matelas pneumatiques mais il est impossible de sommeiller tellement les chocs sont brutaux.

Nous effectuerons ainsi près de trois cents kilomètres avant d'arriver tard dans la soirée à Ghaznî, ville plongée dans l'obscurité la plus complète, l'électricité y étant inconnue.

Nous la traversons rapidement pour aller camper dans les hauteurs à quelques kilomètres de là.

 

Vendredi 12 août Kabul 42 miles

 

Kabul n'est plus bien loin et la route est assez bonne par rapport à celle de la veille.Nous roulons, ne stoppant que pour prendre des photos de « tchai khaney » avec leurs gros samovars de cuivre et leurs clients barbus.Ceux ci s'amusent beaucoup à nous voir simplement vêtus de shorts mais s'inquiètent de façon très expressive de la bonne conservation de nos organes trop compressés. Photos de troupeaux de dromadaires, photos de villages et de maisons.Celles ci sont maintenant des « cola « , une muraille sur plan carré avec quatre tours aux coins, toujours en terre.

La route continue à grimper et la température devient beaucoup plus supportable.

Nous arrivons bientôt en vue de Kabul, une longue tache verte qui s'étend aux pieds de montagnes grises.Nous profitons d'un ruisseau pour faire une grande toilette et nous restaurer. Nous nous présenterons à la capitale de l'Afghanistan en pantalons et chemisettes.

Kabul, une grande déception.

Une ville plate sans aucun caractère: de larges avenues asphaltées, des baraques en briques passées à la chaux, peu de circulation, beaucoup de flics, toujours la même foule grouillante, des cars antédiluviens, enfin une capitale qui n'en a pas l'air.

Les flics ne comprennent rien à nos questions mais après mille détours nous arriverons quand même à l'ambassade de France.

« Monsieur l'ambassadeur veut bien nous recevoir »

Un décor de sous préfecture, monsieur l'ambassadeur en sari japonais et pantoufles nous tend une main molle : très précieux, cherchant ses mots « il pense qu'il serait préférable que je téléphonasse », puis nous envoie chez un français archéologue. Madame Le Berre nous accueille gentiment et nous confectionne tranquillement des tartines en nous parlant de l'Afghanistan, ceci jusqu'à l'arrivée de son mari, breton travailleur et peu expansif archéologue depuis quatorze ans dans la région, il nous trace un petit itinéraire des choses à voir, itinéraire qui devrait rallonger d'une douzaine de jours notre séjour en Afghanistan.

Nous acceptons l'invitation à dîner de cette charmante famille française et restons avec elle toute la soirée avant d'aller dormir dans les jardins de la DAFA.

 

Samedi 13 août Kabul

 

La matinée est prise par les inévitables courses que nous retrouvons dans chaque capitale : demande de permis de séjour, de permis de circuler, de prendre photos et films et nous irons ainsi de la Police à l'office de tourisme, du ministère de l'intérieur à l'ambassade de France. Là, monsieur l'ambassadeur nous fait appeler et nous prie de venir prendre le café chez lui vers treize heures.

Après le déjeuner à la DAFA, nous retrouvons monsieur d'Andurain qui nos offre des fruits puis un excellent café ; cultivé et intéressant il nous amusera jusqu'au départ vers un jardin royal situé à une dizaine de kilomètres de Kabul.Assis à l'arrière du kombi, en short et monocle monsieur l'ambassadeur parle de sa voix pointue et un peu cassée. Arrivé à la demeure royale, sans autres manières, il se déshabillera devant nous pour se mettre en maillot de bain. Petite promenade à travers les jardins fleuris et les vignes, visite d'un élevage de vers à soie, baignade, jeux de ballon ou l' ambassadeur se montrera de première force.Reposés par cette après midi de farniente complet, nous revenons à Kabul pour nous mettre au lit après un rapide repas.

Dimanche 14 août Kabul 10 miles

Toilette et coupe de cheveux par un jeune coiffeur, nous partons pour une matinée d'affaires.Hubert et Éric vont aux différents bureaux compétents tandis qu'Henri et Michel vont au garage : la véwé a besoin d'un graissage et d'un réglage.En chemin Hubert et Éric veulent emprunter à pied le coté droit de le rue où il y a une ombre bien tentante.Il n'y a pas de trottoirs et bien qu'il y ait une foule de passants, un flic repousse nos deux voyageurs Deux conclusions s'imposent : ou les européens sont obligés de suivre les trottoirs ou bien ils n' ont pas droit à l'ombre afghane.Les paperasseries nous amèneront en retard au déjeuner que nous offre l'ambassadeur.Il nous quittera d'ailleurs assez vite pour conduire une française à l'aérodrome.Nous finirons seuls l'omelette aux fines herbes et le poulet à la crème avant d'aller prendre le café au salon.Deux valets en capote, ceinture tricolore et bonnet d'astrakan nous servent avec plus d'allure que de métier.Nous passerons plus d'une heure à regarder l'album de photos du Vicomte Arnaud d'Andurain de Maytié qui nous surprendra au retour très fier et heureux de nous voir aussi intéressés par ses pérégrinations.

Nous le quitterons pour aller rendre visite à un Néocastrien qui nous entraînera au club international, plongeon rapide dans une eau glacée, parties de ping-pong, dégustation d'une bière qui vaut le prix du champagne, discussion avec un cinéaste belge qui vient de faire le périple que nous entreprenons sur les conseils de Le Berre.

Retour à l'ambassade où pendant le dîner sur la terrasse, Arnaud se révèle un excellent conteur lorsqu'il nous fait le récit de ses aventures en Afghanistan en compagnie de sa chère amie, femme charmante mais un peu piquée, Claire Clémence de Mayet dite « Cléclé la Gonzesse ».Puis ce sera la lecture de l'assassinat d'Amanoulha et des supplices atroces infligés aux suspects ; en fin de soirée il nous fera essayer des toques afghanes et chinoises et ce seront les adieux presque touchants avec cet ambassadeur original mais bien sympathique.

Nous tombons de sommeil, pourtant nous discuterons bien tard étendus sur nos sacs de couchage : les femmes,un spoutnik qui traverse le ciel, les femmes,nos projets, les femmes, l'accueil inoubliable des Bonneville, les femmes...

 

Deux ans plus tard à Paris l'ambassadeur reconnaîtra Éric, de dos, sur le boulevards des Italiens. Vénu en France pour présenter un film sur l'Afghanistan, il l'invitera à venir assister, seul, à cette conférence. Eric y amènera bien sur ses trois comparses.ll préparait son diplôme d'architecture : une ambassade en Afghanistan.

 

 

Lundi 15 août vallée du Panchir 81 miles

Nous avons décidé de quitter Kabul tôt dans la matinée mais le vrai départ ne s'effectuera que vers trois heures de l'après midi Il faut encore aller dans les bureaux puis ranger la voiture (tout ce qui n'est pas utile pour nos douze jours en Afghanistan restera dans une pièce de la DAFA), Le Berre nous donne encore quelques détails, nous parcourons Kabul en tous sens pour changer quelques dollars et partons enfin.

Route asphaltée sans grand intérêt jusqu'à Tcharikar. Là, tout change, nous nous engageons dans la vallée du Panchir.

Des gorges verticales, d'énormes surplombs, un torrent fougueux qui se précipite dans le fond et une petite route étroite qui ne sait que faire : elle se blottit contre la roche, passe sur la rivière, contourne un gros bloc, grimpe, redescend, timide mais tenace. Cela plait au véwé qui se sent en pleine forme et cahote vaillamment. De temps en temps la muraille de roche se relâche et un petit village apparaît juché sur les hauteurs ou éparpillé entre les éboulis, au milieu des mûriers et des saules. Des maisons en pierres et terre, chacune est une véritable petite forteresse percée d'étroites ouvertures et surmontée d'une sorte de guérite. Dans les rues ce sont les habituelles échoppes, leur bric à brac hétéroclite, la viande de mouton, les chaussures, les fruits, les poteries et partout les samovars et des petites théières bariolées.

Les gens de l'endroit nous regardent avec de grands yeux mais répondent gentiment à nos signes et sourires.le soir alors que nous campons sur le bord du torrent un pécheur viendra nous offrir trois gros poissons qui serons les bienvenus. Quant au pêcheur, il repartira dans le noir sans attendre de remerciements.

 

 

Mardi 16 août Tcharikar 75 miles

 

Nous remontons la vallée qui s'est un peu élargie. Sur la route étroite un car bondé nous précède ; quand la montée est trop dure, les voyageurs descendent et courent après la masse de bois grinçante qui tient lieu de transport en commun, ceci au sens le plus large car on s'entasse à près de cent vingt, là où, en Europe, dix personnes se trouveraient à l'étroit.

Eric retardé par une photo, rattrapera le véwé en s'accrochant à l'arrière du car. Acte d'héroïsme certain quand on voit les roues passer à quelques centimètres d'un surplomb de trente à quarante mètres.

A travers ce même paysage nous remonterons la vallée du Panchir jusqu'à Pechagar où nous abandonnons, l'accès étant interdit au­ delà.En redescendant nous prenons deux autostoppeurs avec turbans et, signe certain d'aisance, avec parapluie ; Ils nous offriront le tchai (pas bien fameux le thé afghan) à leur arrivée.

Nous repassons par Tcharikar et y faisons l'achat de petits bols en poterie bleue en prévision des cadeaux de retour (ils ne coûtent que deux afghanis cinquante mais chut...) Achat d'une vingtaine d'oeufs (Depuis notre entrée en Afghanistan, l' oeuf fait partie de tous nos repas) et nous allons camper à quelques kilomètres.

Le vent souffle sous la voiture et nous nous posons déjà la question du couchage en plein air lorsqu'un afghan spectateur nous apporte une large planche qui nous abritera.Auparavant il nous a offert une pastèque qui entamée avec délice et force démonstrations devant lui ira, dès son départ, rejoindre son sol natal.Le melon du pauvre, dit on, nous sommes donc encore dans une situation normale.

La route grimpe pendant de nombreux kilomètres jusqu'à un col dont nous évaluons l'altitude à trois mille mètres. Avant ce col, cette route assez ignoble longe une large vallée cultivée et plantée d'arbres entourée de lourdes montagnes pelées. Nous sommes sur la route de la soie et nous croisons sans cesse les impossibles camions afghans.

Mercredi 17 août Girdak 143 miles

 

La descente s'effectue le long d'un torrent à l'eau claire qui deviendra assez vite une rivière puissante qui creuse la montagne comme d'un coup de sabre.Le décor devient vraiment grandiose et impressionnant : deux immenses murailles de roche aux reflets cuivrés nous écrasent de leur masse dont nous pouvons apprécier l'énormité en considérant les éboulis gros comme des maisons tombés dans le torrent.Mais ceci est une longue querelle entre l'eau et la montagne, querelle qui ne nous regarde pas et nous essayons de passer inaperçus sans même klaxonner dans les virages pourtant bien dangereux étant donné le manque de visibilité et la circulation relativement intense.

D'ailleurs les coups de freins sont nombreux, à chaque fois que le camion freine le préposé descend poser derrière les roues arrières une énorme cale à manche, outil indispensable dans tous les véhicules afghans.Nous laissons sur notre gauche la route pour Bâmyân et continuons notre chemin vers le nord, le long du torrent qui favorise de temps en temps une verdure bien agréable , verdure qui attire les hommes et les troupeaux ce qui nous permet de photographier de curieuses cabanes en roseaux et peaux de bête.

Les gorges abruptes sont passées mais le paysage est toujours impressionnant. Ce sont encore de hautes montagnes au milieu desquelles serpentent le torrent et la route, certaines nous font penser au grand canyon du Colorado.

C'est au milieu de ce spectacle que nous irons camper sur les bords du torrent après avoir fait subir un quart d'heure de supplice au véwé qui s'en sortira avec un pare choc et un enjoliveur cabossés.

 

Jeudi 18 août Ribat 93 miles

 

L'eau n'a jamais eu un effet salutaire sur la rapidité de nos préparatifs à moins qu'elle ne développe activement notre imagination. Toujours est il que chacun se trouve une activité : petit déjeuner, toilette complète, lessive, chronique, lettres aux parents et amis, astiquage des appareils de photo, etc.

En plus de cela Hubert et Eric se mêlent de vouloir traverser le torrent large de quinze à vingt mètres.Emportés par le courant ils renoncent.Le paysage ne change pas beaucoup par rapport à la veille, la rivière seule change et s'élargit de plus en plus.Nous nous arrêtons sur ses bords pour déjeuner.Michel et Eric, sans doute vexés du renoncement matinal, tentent de nouveau la traversée de la rivière qui maintenant a près de cinquante mètres de large.Cela parait possible malgré la force du courant mais, presque arrivés de l'autre coté, ils sont emportés par les flots, raclés par les rochers et ce n'est qu'après trois cent mètres de lutte désespérée qu'ils arrivent à retrouver la première rive, à bout de souffle, jurant de ne plus recommencer.Pendant ce temps Hubert plus pragmatique a continué la pêche entamée par les deux nageurs.Il a mis au point un système astucieux qui lui permet la prise , en trois quarts d'heure, de trente quatre petits vairons. La sensibilité auvergnate d'Henri ne peut supporter le spectacle des petites bêtes victimes de l'efficacité vosgienne et il rejettera deux poissons à I'eau.Pourtant cette pêche formera un plat assez sympathique au dîner qui sera une belle réussite :

Tomates,

Riz aux oeufs brouillés,

Friture de vairons afghans Tonimalt. 

Auparavant, nous avons traversé une région assez désertique et avalé la plus grosse dose de poussière depuis le départ.Quelques kilomètres avant l'arrêt, nous avons visité une fouille dont s'occupe Le Berre : les restes de ce qui a du être une place forte ou une petite ville, apparaissent aux flancs et au sommet d'une colline qui domine de toute part une plaine verdoyante et plate.Le résultat sera certainement intéressant dans quelques années mais pour le moment il faut vraiment être passionné par l'archéologie pour vivre de ces recherches.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vendredi 19 août Tachkurgan 90 miles

Le soleil nous réveille, nous nous étions mis du mauvais coté du combi.Le coin pelé n'a rien de fort attrayant, nous le quittons rapidement.Paysage de montagnes pelées, jaunes ou rouges, à travers lesquelles la route avance en dépit du bon sens et certainement à l'encontre de toute connaissances mécaniques.En plus de cela, les trous et le sable abondent.Pourtant le véwé poursuit son chemin, têtu, brinqueballant et cliquetant. C'est de nouveau la montagne dure et déchiquetée puis une trouée longue de cinq cent mètres, haute d'au moins cent cinquante mètres et large d'une vingtaine.Les deux murailles sont impressionnantes et vraiment uniques.

 

De l'autre coté, c'est la plaine large et verdoyante où s'étend la ville de Tachkurgan, perdue dans les arbres, figuiers et peupliers, vivant sous ses coupoles de terre.Nous allons d'abord manger sous un arbre puis partons à la recherche du bazar.Nous laissons la voiture au milieu d'une petite place carrée, entourée d'échoppes et, guidés par des gosses ( ils sont dans tous les pays les meilleurs guides du monde ) nous pénétrons dans le bazar: de petites ruelles couvertes d'une charpente en bois.L'heure de la grande affluence est passée, tout est propre, calme, frais et plongé dans une semie obscurité bien agréable.C'est d'abord le quartier des chaussures : du centre surmonté d'une coupole, partent en croix quatre petites ruelles réunies par une autre en arc de cercle.Elles sont bordées de petites niches en hauteur ou les uns fabriquent les chaussures et les autres les vendent ou plutôt sommeillent en attendant le client. Un peu plus loin, on vend des calottes bariolées, puis ce sont les artisans qui travaillent le cuivre le faisant chauffer avec de curieux soufflets et décorant les ustensiles terminés avec beaucoup d'habileté.Les reflets rouges et jaunes du cuivre, la lueur des feux, les visages burinés et barbus des artisans forment un spectacle vraiment fascinant.

 

Plus loin, d'autres font des cordes : ils cardent la laine des moutons avec deux cordes fixées à un manche puis ils l'étirent et la tressent avec un rouet rudimentaire.Ce travail s'effectue dans la presque obscurité d'une profonde boutique où ils nous invitent à entrer avec de grands sourires, heureux de nous voir nous intéresser de si près à leur métier.C'est encore la vente de petites théières afghanes, les rassemblements de vieux qui dégustent leur tchai, en palabrant, étendus mollement sur des tapis.Nous resterions des heures dans ce vieux bazar, au milieu de ces braves artisans qui vaudraient chacun la photo mais il nous faut passer rapidement, d'autres spectacles nous attendent.

Au sortir du bazar, nous assistons à la construction d'une boutique.Les murs, faits de briques en terre crue assemblées avec de la boue, sont recouverts de bouzillage, un mélange de boue et de paille hachée.Le tout est surmonté d'une grossière charpente en bois sur laquelle on entasse encore de la boue par l'intermédiaire de nattes.La technique est simple mais efficace. On fixe encore des volets en bois, on remplit de bricoles, on place l'habituel tapis et la boutique est prête à fonctionner.

Nous retournons sur la place pour prendre un tchai.Chacun a droit à une petite théière dans laquelle le thé infuse et à une tasse, ceci pour l'équivalent d'une vingtaine de francs. Nous restons ainsi pendant une bonne demi heure entourés d'afghans intrigués. Un poste phillips distille de la musique, l'habituel sirop que l'on entend depuis la Yougoslavie.

Ensuite nous sortons la caméra pour prendre quelques images de rue.La population, prodigieusement intéressée, nous suit dans tous nos déplacements, se prêtant assez facilement à nos caprices de metteurs en scène.

Encore quelques courses et nous repartons vers l'Est à travers une région semi désertique où la route n'existe plus. Il ne passe que d'interminables caravanes d'une cinquantaine de dromadaires.Assurés de ne pas être réveillés par le bruit des camions, nous stoppons pour la nuit.

Samedi 20 août Khanaband 79 miles

Le soleil nous réveille. On ne distingue plus à l'horizon les projecteurs russes qui sans arrêt durant la nuit ont fouillé la frontière qui se trouve à une trentaine de kilomètres de notre campement.Nous apprendrons le soir même de la bouche d'un allemand que ces projecteurs sont installés à un kilomètre les uns de autres et qu'ils s'arrangent pour ne jamais laisser un pouce de terrain dans l'obscurité. Les Russes se méfient, entourés qu'ils sont de partout par des bases américaines.Du Pakistan partent les fameux U2, avions en plastique échappant ainsi aux plus puissants radars.Deux U2 ont été capturés, l'un au détroit de Béring, l'autre au moment où l'on sait.Un troisième a explosé mais, en quatre ans, cent cinquante collègues ont traversé, à trente mille mètres, le pays de Kroutchev, capables de photographier une aiguille à vingt mille mètres ou un crayon à vingt cinq mille mètres. Maintenant, depuis l'affaire de la Conférence, ils voleraient à trente cinq milles mètres ou plus. Ils couperaient leur moteur dès l'arrivée au dessus du territoire soviétique se laissant planer silencieusement jusqu'à la frontière allemande ou norvégienne.Ils passent ainsi à la barbe des radars sensibles au bruit.Il est normal que Kroutchev ne soit pas heureux: tout chez lui est enregistré ; on sait par exemple qu'il a fallu huit essais infructueux avant qu'une fusée atteigne la lune et tout le reste à l'avenant.

Nous nous intéressons plutôt au pauvre véwé qui la veille a pris un sérieux coup.Hubert au volant, le soleil dans le dos n'a pas vu une tranchée assez profonde dans laquelle le véwé est venu cogner brutalement. Pepère a tout de suite déclaré que tout était foutu mais après examen notre baby car s'en sort avec un pare choc aplati et un pli dans la carrosserie. Peut-être y a-t-il quelque chose de moins perceptible mais nous sommes bien repartis Ce matin le démarrage est normal.

Pas la route ! ! !

D'ailleurs elle n'existe plus.

A travers l'immensité désertique et sableuse, personne n'a jamais pris la responsabilité de tracer une route.A part les caravanes des nomades, il n'y a que les audacieux ou les inconscients comme nous qui créent leurs propres traces.Ce qui fait que les pistes s'étendent sur plus d'un kilomètre de largeur.On choisit une trace, on la quitte pour une autre, on en crée une nouvelle, on fait ce qu'on veut ou du moins ce qu'on peut.Le sable est recouvert d'une mince couche résistante le véwé roule à plus de soixante kilomètres heure mieux que sur du macadam.cette couche faiblit, il dérape, s'enfonce,s'enlise jusqu'au moyeu, repart et recommence.Le sable se soulève en volutes, s'enroule sur des centaines de mètres, pénètre dans la voiture, recouvre tout, s'infiltre partout, dessèche et agace nos pauvres gorges.

Puis c'est une chaîne de collines à grimper.L'eau des rares pluies a raviné profondément les pistes, le vent les a transformées en montagnes russes.Un sable impalpable s'est emparé du tout et notre véwé bien que haut sur pattes, racle le sol de son châssis.Il faut grimper à plus de vingt pour cent. Nous redescendons, deux profondes orniéres forcent le véwé à rouler sur des endroits ou il s'incline latéralement de façon alarmante. A tout moment il risque de déraper et de se retourner.Pepère au volant est seul responsable.Les autres à pied, le voient avec anxiété disparaître dans un nuage de sable.ils le retrouveront quelques centaines de mètres plus tard, le véwé est en bonne forme mais Pépère est blanc : » J'ai cru que ça y était !!!...»

Ce calvaire durera pendant plus de quatre vingt kilomètres durant lesquels nous ne verrons âme qui vive si ce n'est deux gazelles, des chiens de prairie et quelques oiseaux de proie.Charmante compagnie mais à quoi nous servirait elle en cas de panne.Nous nous imaginons déjà le véwé retourné et nous marchant avec quelques litres d'eau, écrasés sous le soleil vers une ville hypothétique et les vautours tournoyant plus haut attendant, décidés à nettoyer généreusement nos pauvres os éparpillés.

Nous avons déjà constaté que notre carte est fausse...

Mais cette fois ci elle l'est à notre avantage : Kunduz apparaît à l'horizon, bien avant nos espoirs les plus fous.

Le désert jaune s'arrête comme le long d'un fil remplacé par la miraculeuse verdure.Du haut de la chaîne elle nous semble bien proche mais il nous faudra plus d'une demi heure avant d'y pénétrer. Une rivière passe par là, nous sautons dedans, heureux de nous débarrasser de la couche de sable que nous transportons. Quelques tomates, deux oeufs durs, passage de la rivière sur un bac aussi poétique que rudimentaire : quelques planches sont lancées entre deux grosses barques aux extrémités relevées.

Kunduz : il nous faut renflouer nos finances afghanes, n'ayant pu le faire à Tachkurgan.On nous envoie à la banque mais, bizarrement, nos dollars n'intéressent personne, nous atterrissons dans un hôtel puis dans un club désert, sans plus de succès.

Heureusement nous arrivons à trouver deux ingénieurs allemands travaillant dans une fabrique de coton.L'un d'eux est prêt à nous changer trente dollars à un taux avantageux.Nous allons chez lui où il nous offre un café glacé en nous parlant des probabilités d'une guerre prochaine.Il nous aidera à faire nos courses: une boite de graisse indienne,plusieurs kilos de pommes de terre afghane,un réchaud à essence suédois, des tomates.Rapide,avisé , il nous aidera puis nous quittera sans effusions inutiles, très germanique.

Nous traversons la ville en fête, transformée par des banderoles et des drapeaux de toutes les couleurs (on célèbre pendant une huitaine de jours la fête de l'indépendance), nous nous perdons et nous retrouvons sur une place ou la foule est rassemblée pour assister à une sorte de match de foot ou de basket, difficile à définir car l'application des règles et le nombre de joueurs semblent assez fantaisistes.

Quelques kilomètres encore, arrêt sur une zone plate qui surplombe la rivière.

 

Dimanche 21 août Baissar 53 miles

Les préparatifs de départ durent assez longtemps (nous sommes près de l'eau), lavage et lessive tout cela prend du temps.En plus de cela, Eric tombe dans la rivière et entraîné par le courant, ne pouvant se raccrocher à la berge rocheuse, il va s'échouer sur une petite île caillouteuse.Les autres alertés par ses cris le rameront à l'aide d'une corde.Bilan : perte de la cuvette en plastique et d'une sandalette.Il pleure presque : tous les deux avaient été de tous ses voyages depuis quatre ans.

Départ à dix heures du matin sur une route en mauvais état mais sur une route quand même.Elle suit toujours la rivière, grimpe, descend, roule dans les graviers, saute sur les ruisseaux, tourne brutalement et fait plus d'une fois jaillir au plafond les voyageurs martyrs que nous sommes.

Une heure, il faut penser à manger dans un endroit tranquille.De l'autre coté de ce pont, mais nous sommes mal engagés dans une sorte d'impasse, marche arrière, marche avant, STOP ! ! !

Nous avons du crever...

Non ! Mais la roue avant, presque à l'horizontale, est coincée sous le véhicule.Nous ne savons pas ce qui nous arrive mais c'est certainement fort grave.Cric, pierres pour caler la voiture : un pivot de suspension a cassé net.

La situation n'est vraiment pas brillante.Perdus loin de toute grande ville, sur une route où la circulation est pratiquement nulle, il faut scinder l'équipe. Deux d'entre nous doivent repartir vers Kunduz pour faire tourner une nouvelle pièce, peut être par l'allemand.

Après la stupéfaction, c'est l'ahurissement. Nous commençons à apprécier notre chance.Cette cassure s'est passée à l'arrêt, il aurait suffi qu'elle se passe à vingt à l'heure sur la route pour que nous brisions notre train avant et que nous allions dans le ravin, quarante mètres plus bas.De plus, nous sommes en dehors du chemin et la véwé peut rester là. Nous sommes près d'un pont c'est à dire près de l'eau.Nous frémissons à l'idée que cela aura pu se passer hier.

Rapide déjeuner.préparatifs : sanglomycine, chlorozone, quatre oeufs durs, une boite de lait condensé, un bidon de tchai, quelques papiers, la pièce, un appareil de photo, Hubert et Eric sont prêts.

Un afghan vient nous offrir du yaourt, ce sera notre plat d' adieu.Il est dix sept heures dix.

Déjà une demi heure de marche.Un paysan passe avec deux ânes et nous offre de monter dessus ce que nous faisons avec plaisir pendant plus d'un kilomètre.Il ressort de ses explications par signes que nous ne sommes pas sur la route de Faizâbâd et qu'il sera difficile de trouver des camions. Deux heures ont passé, la nuit est tombée et le paysage des gorges a pris un aspect fantastique qu'accentue le bruit du torrent.La lune n'apparaît pas et la route est à peine visible.Hubert et Eric marchent comme des automates butant régulièrement dans la caillasse. De temps en temps se profilent les taches noires de tentes de nomades.Déjà peu attirantes dans la journées elles sont bien peu rassurantes la nuit.soudain un chien gronde, réveille quatre ou cinq copains qui se ruent en hurlant vers les deux voyageurs.Heureusement et contre toute attente les pierres bien que mal ajustées dans ce noir d'encre les tiennent en respect à cinq ou six mètres et ils abandonnent la partie au bout de quelques minutes.Maintenant à chaque ombre Hubert et Eric s'arment de pierres.Vraiment cette marche nocturne dans ce coin désert de l'Afghanistan n'a rien de très plaisant.Trois, quatre, cinq heures de marche, toujours pas de village, des montagnes, d'énormes blocs de rochers qui semblent prêtes à dégringoler, la cadence de marche a ralenti.Hubert devient romantique :

» Tu te rends compte, seuls, perdus au bout du monde en pleine nuit, quels souvenirs !!! »

Eric est plus prosaïque : »Bof... »

Soudain une ombre dans un champs: charabia... Deux ombres, trois ombres : recharabia...

Une ombre apporte des couvertures, Hubert et Eric peuvent enfin s'allonger pour un repos bien mérité, il est minuit.

Le sommeil ne vient pas tout de suite, le terrain est trop pentu, il faut changer de place.Un chien vient hurler à quelques pas pendant un bon quart d'heure.Enfin, le sommeil.

Lundi 22 aout Khanaband

 

Réveil à cinq heure trente.Il faut entourer de sparadrap les pieds meurtris par la promenade de la veille.Premier essai de marche pieds nus. C'est encore plus pénible sur les cailloux pointus. Il est huit heures quand un vieux nous fait signe, un camion va arriver se dirigeant vers Khanaband.

C'est en effet ce qui se passe : un International transformé en tapis volant stoppe.

Nous grimpons dedans et l'on nous met tout de suite à une place de choix, assis sur un pneu.Le téléphone afghan a mystérieusement fonctionné et tout le monde connaît notre aventure : nous voulions aller à Kunduz, Khanaband semble une meilleure réponse à notre problème.

Les autres voyageurs ne sont pas à la même enseigne, tout là haut, grimpés sur la cabine, debout accrochés aux ridelles du camion, assis côte à côte sur le plancher, pour la plus part amorphes, abrutis par les chaos et la poussière.Les pires chocs de notre véwé ne sont rien à côté de cette sarabande.

Halte à Talik Un, tout le monde descend prendre un tchai ou se dégourdir les pattes.Hubert et Eric font la même chose, s'achètent quelques raisins et remontent pour la deuxième partie du voyage soit une quarantaine de kilomètres. Quelques arrêts pour faire monter hommes et sacs, il y a bientôt prés d'une soixantaine de voyageurs entassés les uns sur les autres, chiquant, crachant, hurlant, chantant, grognant, suant et tressautant.

De l'eau coule sur le bord de la route et c'est chaque fois la ruée.Notre bidon est le bienvenu et, après quelques hésitations égoïstes de notre part, il fait le tour de toutes les bouches.La veille encore, nous n'aurions jamais bu, sans chlorozone, l 'eau d'un torrent.Aujourd'hui, nous ne sommes déjà plus à ça près :aux environs de Khanaband nous boirons une eau dans laquelle nous aurons vu auparavant, boire et pisser ânes et vaches, un berger nettoyer une tête de mouton fraîchement coupée,deux autres types se laver entièrement.L'eau n'est plus sale, elle est noire, mais nous la buvons avec délice , comme les autres.

D'ailleurs, au restaurant, le soir même, on nous servira dans une carafe une eau boueuse où flottent des matières heureusement indéfinissables.L'eau provient, nous en apercevrons le lendemain, directement du caniveau.

L'hygiène est quelque chose d'incompréhensible ici.

La préparation de la cuisine est aussi ragoûtante, on débite la viande de mouton en petits cubes que l'on entasse en tas sur la terre de la cour.Poules, mouches et guêpes ont vite fait de transformer le tout en une masse sombre et grouillante dans laquelle le cuisinier vient piocher au fur et à mesure de ses besoins.

Dans un autre coin s'amoncellent des oignons et des pommes de terre épluchées.Sur le tout règne une odeur de putréfaction incroyable.Peut être les microbes afghans moins résistants que les hommes en crèvent ils les premiers et arrive t on ainsi à un juste équilibre ?

Notre camion arrive dans ce qui doit être la gare d'autobus, une grande cour poussiéreuse où s'entassent des dizaines de cadavres de camions (du moins nous le croyions car, un peu plus tard, ils démarreront gaillardement.), des pièces détachées, des débris de toutes sortes, des tas d'immondices, des poules et dans un coin… un tour et un mécanicien.

Il est assez facile de faire comprendre à celui-ci ce que nous voulons et il nous promet deux nouvelles pièces pour le lendemain à neuf heures.

Rassurés, nous nous laissons conduire dans un coin, à travers ce que l'on appelle des cuisines, puis à l'étage, au restaurant : une grande pièce au sol en terre battue et au plafond en troncs de hêtres.Les murs badigeonnés à la chaux sont couverts d'affreux petits tapis et de centaines de cadres représentant des paysages idylliques( pour un afghan bien entendu) : lacs bleu turquoise avec voilier, maisonnettes aux toits rouge, montagnes bleues et arbres fruitiers avec un grand oiseau dans le ciel, genre prix d'encouragement au concours de dessins d'enfants ), des visages de stars iraniennes, indiennes ou afghanes c'est-à-dire de beaux gros morceaux de viande avec des yeux de vache et des bouches en coeur bien sanguinolentes, des écritures de toutes couleurs ( certainement des réclames ou des versets du coran) et même , sur la terrasse qui court tout autour de cette pièce, un Saint Michel terrassant le dragon ( par quel hasard ce brave archange saint sulpicien a-t-il atterri dans cette ville lointaine de l'Afghanistan ?).Par ci par là des disques 78 tours qui ont eu la bonne idée de s'immobiliser et de ne pas martyriser nos oreilles comme leurs petits copains juchés sur un phonographe mécanique relié à un poste de radio.Dans un angle, la caisse et le caissier, beau jeune homme chauve et barbu.Plusieurs clients assis à l'européenne mais mangeant avec leurs doigts à la manière afghane.Quant à Hubert et Eric, ils ont droit à des couverts pour manger le riz au safran, le morceau de mouton et les deux patates Après le tchai, Eric s'endort étendu sur des chaises tandis qu'Hubert se lance dans une lettre interminable. Vers quinze heures ils vont voir le mécanicien qui vient de commencer la pièce. Son installation rudimentaire (étais qui bringuebalent, courroies qui sautent, moteur de camion qui s'essouffle et s'arrête régulièrement, tour antique), n'a rien de rassurant.Pourtant on ne peut rester là à l'espionner, il vaut mieux aller faire un tour dans la ville…

Toujours l'habituelle activité dans les petites échoppes : on vend des melons, des morceaux de mouton, des melons, du savon et des bonbons, des melons.

Ici, on répare c'est-à-dire qu'il y a une petite enclume, là on coupe les cheveux, la même scène se répète sur des centaines de mètres. Retour dans notre cour, la pièce prend forme. Le mécanicien travaille à la lueur d'une lampe à pétrole soit presque dans l'obscurité, pourtant ça avance.A huit heures il s'arrête et nous fait comprendre qu'il va moderniser son installation et son outillage, nous montre des prospectus italiens et s'en va.

Même repas qu'à midi, nous allons dormir sur la terrasse étendus sur des lits extraordinaires, avec châssis en bois et grillage.

Mardi 23 août Falrar

Le petit serveur vient nous réveiller à cinq heures.

Nous n'en avons pas fort envie mais il semble qu'il faille obtempérer.Nous allons dans un coin pour prendre tchai et galettes.On nous apporte deux yaourts mais nous n'arriverons pas à en ingurgiter un quart tellement ils sont sales.Hubert écrit, Eric fait sa chronique puis Hubert part voir le mécanicien.Celui ci n'arrivera qu'à huit heures et ne commencera son travail qu'après s'être longuement peloté avec un autre zouave et s'être fait gentiment enguirlandé par Hubert.Enfin le boulot est terminé, il est neuf heures quinze, nous avons raté d'un quart d'heure le camion prévu,.

Heureusement, un car part vers dix heures pour Taliq Un.Nous grimpons dedans et nous nous coinçons sur notre banquette en bois.Pour y accéder, il faut escalader tous les dossiers car le couloir central est supprimé ce qui permet l'entassement d'au moins six personnes sur une seule rangée.L'avant ressemble à la loge d'une actrice de dernière classe : plusieurs rangées de fleurs artificielles de toutes couleurs, des miroirs tous les dix centimètres, une vieille sonnerie de téléphone, des feux rouges jaunes, verts, des floches, du scotch de couleur sur le volant et sur les barres métalliques.

La boiserie permet d'intercaler de minuscules bouts de verre, les vitres de plus de cinquante par cinquante étant pratiquement inconnues en Afghanistan.De chaque coté du pare brise, deux petites fenêtres ouvrantes hautes de cinquante centimètres, large de dix et épaisses d'autant.Le tout bringuebale, grince, vibre mais n'arrive pas à couvrir le bruit des « conversations ».

En bons occidentaux, le chauffeur mettant son moteur en route, nous pensons que le départ est proche.En effet le car démarre et traverse la ville en direction de Taliq Un.II s'arrête, charge plusieurs paquets, continue puis fait demi tour et revient à son point de départ.là, un autre chauffeur vient remplacer le premier et on repart mais cette fois çi dans la direction opposée.Nous nous inquiétons déjà mais ce n'était que pour prendre quelques litres d'essence.Retour au point de départ et arrêt d'une demie heure.Le vrai départ est enfin donné mais un voyageur s'aperçoit qu'il a oublié son manteau.Il revient au bout de dix minutes mais entre temps un autre voyageur est descendu et on ne le retrouve plus....

Enfin, il est midi quand nous partons et nous arrivons sans encombres à Taliq Un vers quatorze heures trente.Rapide repas dans une tchai Kaneh, nous nous enquerrons du prix pour rejoindre Falrar en calèche, prés de cinq mille francs, nous préférons partir à pied,sous le soleil.

Trois kilomètres de marche, un Afghan nous propose de prendre notre barda sur son âne, ce que nous faisons tout de suite.Un peu plus loin un cavalier nous rejoint et propose à Eric de monter en croupe Mais il nous faut bientôt les abandonner, Hubert, crevé,ne suit plus.

Presque aussitôt une Willis arrive, s'arrête à nos signes et allant à Falrar peut nous emmener; Les deux afghans sont sympas, l'un parle un peu l'allemand. Hubert s'ingénie à leur rendre service : il descend prendre de l'eau dans le torrent pour le radiateur qui fuit, pousse la voiture dans les montées ...Ceci n'empêchera pas le chauffeur de nous réclamer le prix assez élevé de cinquante afghanis.

A Falrar, un personnage en toque d'astrakan nous entraîne illico vers nos « two friends » qui sont, parait il, « very hungry « de nous.Ils ont même téléphoné à Kunduz.Anxieux, Hubert et Eric suivent le personnage qui leur fait traverser un large rectangle formé par une rangée de soldats et au moins deux cent spectateurs.Dans le fond se trouve de grandes tentes d'apparat et, devant, une rangée de notables assis sur des chaises. Eric, les pieds nus couverts de sparadrap n'est pas très fier.Il s'avère que les « two friends » ne sont pas là mais à la voiture, trois kilomètres plus loin.

Ils sont là, sous le regard abruti d'un soldat qui garde la voiture depuis le début, jour et nuit. En effet dès le départ d'Hubert et Eric, après qu'une cinquantaine de gosses soit venue lancer des pierres sur la voiture, le gouverneur est arrivé suivi de quelques notables et il a entraîné les deux sédentaires vers Falrar.

Mais Michel n'a pas le temps de tout raconter car il faut remonter la pièce (ce qui n'est pas des plus facile) puis partir à Falrar car il est l'heure du dîner.

Le gouverneur est toujours assis au milieu de ses notables à regarder le spectacle.On vide des chaises et on nous fait asseoir.La scène est éclairée par une unique lampe à pétrole qui donne un caractère assez fascinant aux danses auxquelles nous assistons.

Deux hommes tapant sur des tambourins psalmodient une litanie assez monotone à laquelle répond un choeur d'une douzaine d'hommes assis sur le sol.Puis, l'un d'eux enveloppé d'un grand voile se couche par terre, un deuxième imite les cris d'un chien tandis que trois autres jouent les oiseaux de proie.A cette scène qui n'égale pas pour nous les pièces jouées par les petits au jardin d'enfants, le public prend un plaisir évident.Même le gouverneur,pourtant évolué, rit aux éclats.Peut être , les invectives que se lancent le chien et les oiseaux sont elles d'une drôlerie irrésistible ? Quant à nous, ce qui nous amuse le plus c'est de voir ces grands gaillards aux visages énergiques et farouches jouer ainsi comme des gosses.

Ensuite ce sont deux groupes de danseurs assez pitoyables qui lancent tour à tour en gesticulant au son d'un tambourin, quelques notes toujours identiques.Heureusement, pour sauver le tout il y a un vieux danseur excellent et la lueur de la lampe à pétrole donne une touche un peu mystérieuse à ce spectacle enfantin et désordonné.ils dansent, nous dit le gouverneur, la chanson de l'amour. L'amour de qui ? On se le demande car les femmes sont totalement invisibles dans ce coin de l'Afghanistan et, pour en avoir une, il faut payer deux à trois cent mille francs c'est-à-dire une somme inaccessible pour la moyenne des Afghans. D'ailleurs ceux-ci ont très bien su tourner la difficulté en s'entendant entre hommes.Il n'est pas rare ici de voir des jeunes de quinze à trente ans se caresser, se peloter et s'embrasser sur la bouche avec des airs énamourés.Bref, nous assistons à un spectacle moyenâgeux, sans chevaux et sans dames c'est-à-dire sans grand­chose.

Les danseurs sont remplacés par un petit orchestre formé d'un violon (une boite métallique, un manche et deux cordes), un petit tambourin (une cruche sur laquelle est tendue une peau), un pipeau, quelques cymbales et une mandoline.Le violoniste chante en fermant les yeux et faisant grincer son instrument, un jeune gosse lui répond d'une voix aigue.Là encore, la valeur artistique n'est pas bien fameuse mais à certains moments nous arrivons à être envoûtés ;Toujours la lampe à pétrole...

C'est encore deux tambourins et un pipeau mais le gouverneur semble fatigué (ce spectacle qui dure deux heures se répète indéfiniment pendant les trois jours de la fête) et il nous fait signe de le suivre jusque chez lui dans sa salle à manger, une grande pièce aux murs de terre d'un mètre d'épaisseur blanchis à la chaux avec deux portes dont un paysan français ne voudrait pas pour ses granges. Pour tout mobilier, un tapis couvert d'une toile cirée blanche ou sont placés des plats et des tranches de melons.

D'un coté quatre assiettes avec couverts, ce sont nos places.Le gouverneur et les cinq autres convives, habillés à l'européenne s'accroupissent, nous faisons de même et chacun attend en

silence ; Un domestique entre, pose ses grands pieds sales sur la nappe et placent les plats de riz : une cuvette de riz pour deux convives, une assiette pour chacun d'entre nous. Les Afghans grattent dans les plats avec leurs grosses pattes comme des poules sur le fumier, projettent des grains de riz dans tous les sens, enfournent le reste dans leur bouche et rotent bruyamment en signe de satisfaction.Nous, nous mangeons élégamment avec nos couverts sauf Eric qui fait du zèle.Nous avons à peine entamé nos platées que les Afghans ont terminé la leur. Nous liquidons avec délice nos aubergines au yaourt, notre mouton et nos melons.Tout de suite après , nous faisons nos adieux: nous n'avons pas tellement envie de revoir les danseurs, Michel et Henri les ayant déjà subi depuis deux jours.

En effet, le gouverneur, parlant bien l'anglais les avait invités dans sa demeure.Dés leur arrivée dans les jardins, des domestiques leur apportèrent boissons et fauteuils puis avec l'obscurité vinrent lumières, musiciens et danseurs.Michel et Henri furent invités à s'asseoir près du gouverneur et du commandant de la police, un grand gaillard de près de deux mètres de haut.Les autres notables restèrent assis à l'écart. Le dîner prêt, ils furent conviés dans la salle précédemment décrite ou assis sur des tapis ils s'initièrent aux moeurs afghanes : manger avec les doigts, les jambes en tailleur, et roter comme un cochon pour remercier.Puis la séance musicale recommença dans les jardins, agrémentée de la dégustation d'un excellent thé.Ainsi arriva l'heure du marchand de sable, on les emmena dans une petite pièce où deux couches avaient été préparées, l'une rouge, l'autre verte. Le gouverneur considérant qu'ils étaient » free » leur expliqua que dans la province du Kathagan les femmes coûtaient « a lot of money » ce qui pouvait faire comprendre qu'il ne leur en offrit pas.

Le matin, assez tard le commandant de la police en grand uniforme vint les réveiller, les domestiques s'empressèrent et apportèrent cruches et savon pour de rapides ablutions puis table et chaises pour le petit déjeuner : petit déjeuner spectacle puisqu'une assemblée s'installa en face d'eux,sur des bancs, sans doute pour admirer la dextérité de ces européens mangeant avec des couverts.La matinée se passa ensuite à visiter les jardins puis le bazar car c'était « aujourd'hui, jour de shopping »et enfin à assister à des danses nationales au son des tambourins.

Le lendemain, les fêtes de l'indépendance commencèrent et tout le village se prépara en accrochant banderoles et draperies sur les échoppes et dans la rue.

Déjeuner, seuls, avec une table et des couverts.Ensuite, visite au pauvre véwé estropié et abandonné puis retour au village pour prendre des nouvelles des deux nomades.Le téléphone s'avéra un assemblage ahurissant de piles et de fils mais il fonctionnait :

« Mamoud, mamoud Talik Un, mamoud khanaband, mamoud Kunduz... »

Il fallut trois quarts d'heure pour atteindre Kunduz et apprendre que la fabrique était fermée.Déçus et légèrement inquiets Michel et Henri revinrent sur la place et assistèrent au début des fêtes, dînèrent avec le gouverneur et allèrent dormir

Le surlendemain même essai pour avoir Kunduz :

« On n'a pas vu de Français ni au club ni à l'hôtel. »

Un peu plus inquiets, Michel et Henri retournèrent au spectacle, déjeunèrent sous les tentes en compagnie d'une vingtaine de notables. De plus en plus inquiets, fatigués de la bouffe, des Afghans et des danses, ils retournèrent à la voiture...

... et retrouvèrent les deux autres.

Nuit à quatre de nouveau, dans la pièce, sur trois couches préparées par le cuisinier du gouverneur qui les amusera pendant toute la soirée.

 

Mercredi 24 aout 1960 Pul i kumri 130 miles

Petit déjeuner avec poissons et galettes.Nous allons remonter le nouveau pivot ce qui nous prendra toute la matinée.Heureux d'avoir enfin une voiture qui avance, nous entrons triomphalement à travers le village où se poursuivent les fêtes.La foule s'écarte curieuse sur notre passage et nous pénétrons dans la demeure du gouverneur pour lui faire nos adieux ; adieux bizarres, chacun ne sachant trop que se dire. Nous refusons une invitation à dîner, pressés de quitter le patelin : notre brave cuisinier en semble bien peiné.Il ne connaît pas l'ingratitude courante des voyageurs.Nous n'irons pas vers la frontière chinoise, d'ailleurs nous étions dans un cul de sac.Nous prenons la route du retour, bien connue maintenant, en direction de Khanaband.Les gens qui connaissent à peu prés tous notre histoire sur cent kilomètres de long, nous font de larges sourires.Taliq Un, Khanaband, Aliabad, Pul i kumri, nous fonçons afin de rattraper le temps perdu.Quelques courses à Pul i kumri, de l'essence, nous allons dormir à la belle étoile sur les bords de la rivière.

Jeudi 25 août 1960 Bâmyân 145 miles

Nous reprenons la vallée suivie à l'aller à travers ces splendides paysages, ceci jusqu'à l'embranchement vers Bâmyân.Il est déjà quatre heures de l'après midi, nous suivons une petite vallée paisible, cultivée et plantée de peupliers, bordée de falaises rouges-Nous approchons d'un des endroits les plus sensationnels de notre voyage, la route est relativement bonne, nous fonçons.Pourtant la voiture nous jouera encore un mauvais tour en crevant : le pneu tubeless réparé à Mechhed vient de claquer de nouveau.A Bâmyân nous n'avons que le temps de jeter un rapide coup d'oeil sur l'ensemble des falaises.

Une grande muraille rouge, criblée de trous, haute de plus de cent mètres, s'étend sur près d'un kilomètre.De chaque coté deux énormes niches profondes d'une dizaine de mètres abritent deux Bouddhas hauts, l'un de cinquante trois mètres, l'autre de trente cinq mètres.Ces deux colosses

 

taillés dans le roc sont vraiment impressionnants ; pour leur donner de l'échelle nous nous amusons à faire passer le véwé entre les pieds de l'une des statues.

Malheureusement, ces deux vestiges de la civilisation bouddhiste, ont été brutalement mutilés par les Musulmans et en particulier par l'artillerie de Nadir Shah et d'Amadouhla..Les visages ont disparus sauf la partie inférieure.Heureusement, les plis des vêtements ont en grande partie subsistés.La statue ayant été grossièrement taillée dans la roche, les artistes bouddhistes l'avaient recouvert d'une armature formée de piquets en bois enfoncés dans le roc et reliés par des cordes sur lesquelles ils accrochaient une sorte de stuc qu'ils pouvaient plus facilement sculpter.Tout l'intérieur de la niche était recouvert de fresques dont il ne reste malheureusement plus grand­ chose si ce n'est quelques bouddhas dans la partie supérieure..

La falaise étant percée d'escaliers et de couloirs, il est possible d'accéder jusque sur la tête des bouddhas mais, pour ce soir, nous en avons déjà assez vu, il nous faut partir quelques kilomètres plus loin trouver un lieu de campement.

Vendredi 26 août 1960 lacs de Band i Amir 54 miles

Nous sommes à plus de deux mille six cent mètres d'altitude et la nuit a été plus que fraîche.Nous nous levons assez tôt pour aller terminer notre visite des falaises et passer notre matinée à prendre photos sur photos pour immortaliser les magnifiques géants puis nous promener sur les hauteurs.

Il est déjà tard lorsque nous reprenons la route vers les sept lacs.

Nous suivons une minuscule et calme vallée où le véwé se met à haleter.Nous lui faisons un petit réglage mais au démarrage c'est encore pire qu'avant: Pepère déclare déjà que tout est foutu, lorsqu'on découvre qu'une pièce avait été mal revissée.

La route se promène maintenant sur de hauts plateaux situés entre trois et quatre mille mètres d'altitude. Contre toute attente le sable abonde par ici et la voiture en soulève d'énormes nuages que le vent entraîne à l'intérieur de la voiture.La température a baissé et nous sommes heureux d'enfiler nos chandails.Nous n'avons pas l'impression de n'être qu'à une centaine de kilomètres de Kabul mais bien perdus quelque part au milieu du Tibet ; en effet les gens d'ici ont tout à fait le type mongol : petits, râblés les yeux bridés et la barbe en pointe.

Soudain, une large et profonde cassure apparaît au milieu de ces plateaux. Dans le fond on aperçoit un des sept lacs qui se déversent les uns dans les autres. Nous y descendons rapidement pour nous trouver sous un étonnant barrage naturel haut d'une quinzaine de mètres, il forme une sorte d'énorme vasque qui retient des eaux d'une limpidité fantastique dans lesquelles se reflètent les falaises environnantes. Le spectacle est vraiment merveilleux. Même Pepère le blasé est obligé de reconnaître que « c'est étonnant ».Le sommet du barrage est recouvert d'une mince bande d'herbe verte sur laquelle sont déjà dressées deux ou trois tentes, des allemands et des autrichiens résidant à Kabul et venus passer le week-end à pêcher un poisson peu farouche.

Samedi 27 août 1960 Panjao 56 miles

Nous passons notre matinée à flâner sur les bords du lac, à prendre des photos des profondes et transparentes eaux bleues, des poissons qui nagent par bancs.Henri et Hubert ont même le courage de faire une balade de plusieurs kilomètres pour aller admirer les autres lacs. Mais il faut continuer ; la route grimpe de nouveau sur les hauteurs, remonte une vallée puis s'engage à travers une muraille de flammes pétrifiées par des lacets qui rebutent notre vaillante compagne.Il faut la pousser de six mètres en six mètres , l'alléger de deux jerricanes d'essence et finalement la laisser refroidir.Henri,Hubert et Eric font à pied la partie la plus rude jusqu'à ce que la véwé soit capable de surmonter sa défaillance ou plutôt que la route s'assagisse.Nous grimpons jusqu'au point culminant qui doit, d'après notre carte se situer à plus de quatre mille mètres d'altitude.Notre déception est assez grande.Pas de neige, une vraie montagne à vache, il y a même encore quelques touffes fleuries.Nous qui pensions nous photographier dans la neige, grelottants et frigorifiés !!!

Une Land-Rover nous double avec à son bord quatre américaines... Poussés par des désirs coupables, nous décidons de les suivre et de camper avec elles.Elles ne semblent pas pressées de s'arrêter malgré la nuit commençante, nous les suivons, de plus en plus décidés à ne pas les lâcher.Enfin un village, les phares de la land­ Rover brillent près d'une maison à étages, nous y allons, ça doit être une construction administrative ; En tout cas, nos américaines y débarquent leur barda et nous faisons de même. Nous ne voulons pas rater une telle occasion et nous ne serons pas déçus...

En effet les quatre quadragénaires rebondies nous inviteront aussitôt à déguster avec elles, jus de tomates au gin, toasts, pommes de terre et macédoine, le tout arrosé de beaujolais et de Pouilly-fuisé ; en contre partie nous leur offrons du riz qu'elles accepteront poliment.Elles n'accepteront pas pareillement l'offre du policier afghan de nous faire coucher « india » c'est-à-dire avec elles.

Dimanche 28 août 1960 Kabul 190 miles

Nous avons bien dormi, crevés par nos agapes américaines.Ces dernières, pleines de dynamisme, sont déjà prêtes au départ lorsque nous nous réveillons.Elles laissent une masse ahurissante de plats en papier, de gobelets en carton et de boites de conserves quelquefois à moitié pleines. Pepère commencera ainsi sa journée par un plein verre de canada dry.

Les autres se contenteront du nescafé habituel qui tire d'ailleurs à sa fin ainsi que le reste de nos provisions.Il faut, si possible, rejoindre Kabul dans la soirée.

Pourtant, nous passerons une bonne demi-heure dans les jardins à photographier les magnifiques roses trémières qui y poussent. Nous sommes déjà à trois mille mètres et durant toute la journée nous oscillerons entre trois et quatre mille mètres faisant trimer notre pauvre véwé qui avancera la plupart de la journée en première. Pour ne pas trop lui faire regretter ses anciennes propriétaires, bonnes soeurs hollandaises, nous l'aiderons quelquefois en marchant à pied ou en le poussant à l'occasion.Il fera quand même un travail stupéfiant.

La route en terre, fort étroite, n'est pas mauvaise mais elle monte et descend constamment à prés de vingt pour cent. Nous avons l'impression d'arriver chaque fois à un col mais de l'autre coté il faut monter un peu plus haut encore.Le paysage n'a rien de vraiment impressionnant malgré l'altitude.Ce sont surtout de larges montagnes lourdes et pelées qui ressemblent à de grosses collines.

Nous ne sommes pas seuls, des nomades campent sous leurs tentes en peaux de dromadaires ou roseaux tout le long de la route. Un groupe d'entre eux nous fait même signe de stopper, une vieille nous fait comprendre qu'elle a mal aux yeux. Après quelques minutes de délibération, Hubert sort une bouteille de collyre et lui verse quelques gouttes dans les yeux. Le reste du groupe, follement intéressé par l'opération se rapproche, ce qui nous permet de photographier, pour la première fois en toute tranquillité, femmes et enfants. Nous sommes d'autant plus contents que ces nomades sont particulièrement couverts de perles, de colliers et pendentifs en métal.

Un des hommes trimballe un superbe poignard à la lame finement ciselée et un fusil à deux coups ultra moderne.

Nous savons par notre ami Arnaud que toutes ces armes sont faites entièrement sous la tente

(Creusement du canon, travail des différentes pièces) et qu'ils arrivent ainsi à avoir des armes d'excellente qualité, les Anglais s'en souviennent encore. Notre voiture les intéresse prodigieusement et ils la caressent des doigts avec une véritable stupeur.L'étoffe du plafond surtout les ahurit par sa douceur. L'homme au fusil nous demande de le transporter un peu plus loin avec sa femme et sa fille.Lui s'enverra même quelques kilomètres supplémentaires pour le plaisir de se faire secouer dans notre baby car. Il aurait bien voulu nous inviter sous sa tente mais nous refusons, prosaïquement inquiets de notre moyenne. En effet, la carte n'étant pas très exacte, nous ne savons pas si nous sommes sur le bon chemin, au début ou aux trois quarts de l'étape prévue.La question de l'essence devient même angoissante et dans les descentes nous nous laissons aller en roue libre pour économiser quelques centilitres. Depuis notre parcours dans le nord de l'Afghanistan la moyenne de consommation est de seize litres aux cent.

Encore un col de passé, une descente assez rude s'amorce le long d'un torrent puis enfin un village apparaît. Quelques camions sont arrêtés, l'essence ne doit pas être loin. En effet, dans une boutique, nous trouvons quelques gallons. Nous prenons en même temps des oeufs, du riz et deux autostoppeurs dont le vendeur d'essence qui vient de nous voler.L'autre nous offre quelques pommes comme prix du transport mais il se fera trimballer pour beaucoup plus que la valeur de ses pommes. Il ne nous plait pas et il le sentira bien tout seul, nos réflexions aidant,et nous quittera enfin.

Nous en ignorons la cause mais nous ne sommes pas de bon poil. Est-ce à cause de la fin de ce superbe et trop court périple de douze jours?

Nous n'avons rencontré que des gens magnifiques, fiers mais d'une extrême gentillesse, souvent très beaux et nobles, généreux et gais malgré leur relatif dénuement, astucieux et travailleurs, un peuple merveilleux.Nous les avons aimés. Et oui...

Auparavant, un troupeau d'un demi millier de moutons encombre la route et ses abords, nous nous traînons lamentablement à leur vitesse pendant quelques minutes puis accélérons légèrement puis un peu plus vite, puis encore un peu plus vite Notre bateau à roues fait jaillir des vagues de laine...

Plus loin, c'est un encore un troupeau mais de dromadaires cette fois, une centaine peut être, plus impressionnants que les moutons...

Nous essayons de les doubler sans les affoler ; ça marche pour une partie du troupeau mais une dizaine de grosses bêtes irréductibles et ridicules (qui a déjà vu, par derrière, un dromadaire courir en chaloupant, sera d'accord avec nous) nous refuse le passage.

Hé, nous sommes pressés nous ! ! !

Nous accélérons, les bestiaux aussi.Trente, quarante, cinquante kilomètres à l'heure, les dromadaires sont toujours là, quinze kilomètres plus loin…

Notre hôte n'est pas ravi, il fait la gueule.Un embranchement soudain, des panneaux en farsi incompréhensibles pour nous ...les dromadaires prennent à gauche, nous prenons à droite...

C'était le bon choix, nous arriverons à Kabul dans la soirée.

Lundi et mardi 29 et 30 août 1960 Kabul

Pas de chronique... ???

Mercredi 31 août 1960 Jailabad 72 miles

Cette fois çi, nous sommes bien décidés à quitter Kabul mais auparavant il faut changer des dollars en afghanis, roupies indiennes et pakistanaises, ce qui doit nous permettre une économie de quarante pour cent.

Au bazar nous essayons d'avoir nos roupies au meilleur taux et allons ainsi d'un changeur à l'autre, ce qui permet à un marchand de « koula » (petits bonnets afghans en astrakan) de nous accrocher.Nous commençons nos marchandages sans grande insistance et sans réelle envie mais, au bout d'un quart d'heure, chacun d'entre nous est nanti d'une koula.

Ayant réussi à faire baisser le prix de moitié nous sommes très fiers de nos qualités de marchandeurs mais un jeune Afghan nous fait déchanter en nous apprenant que ce que nous avons acheté vaut la moitié du prix payé.Cet Afghan qui parle assez bien le français propose de nous accompagner au bazar pour nous aider à faire nos achats sans être trop grugés. Nous comprenons bien vite qu'il essaie de s'arranger avec les marchands pour obtenir une commission de ceux-ci.et une récompense de notre part.La première partie de son plan réussit certainement quand Pépère et Hubert achètent, bien qu'à bas prix, un « tambour » (sorte de mandoline) et trois petits vases en métal.Quant à la récompense, elle sera faite de larges sourires que son rire jaune ne semble pas tellement apprécier. Les achats terminés, nous partons faire nos adieux à la DAFA, à l'incroyable Marschal, à Redard et son amusante petite femme, à Le Berre puis aux Mathieu.

Chacun nous donne des conseils, nous parle des choses à voir et semble content de nous avoir connu. Nous aussi et nous leur promettons notre visite lors de notre prochain séjour en Afghanistan.Qui sait ?

Dernière traversée de Kabul en fête : après le « Djachem » c'est l'anniversaire de la mort du prophète, toutes les rues principales sont pavoisées et couvertes d'arcs de triomphe.Le vent et la poussière sont aussi de la fête et s'en donnent à coeur joie à travers tout le pays.

Est-ce pour cela ou parce que nous allons quitter l'Afghanistan, le paysage malgré son caractère grandiose du début, ne nous semble pas sympathique et nous nous sentons mal à l'aise.Nous traversons ainsi « les portes de l'Enfer »où les Afghans ne savent que faire pour conserver une route que les éboulis saccagent à plaisir.Tous les kilomètres c'est un bout de route, un tunnel ou un pont que la roche a entraînés dans sa chute vers l'abîme.Les Afghans travaillent par centaines transportant les cailloux à la main avec un courage tout oriental.

La nuit tombe mais la rocaille ne nous laisse aucune place. Assez tard, nous trouverons une place, un creux ensablé où nous passerons une assez mauvaise nuit. Déjà le soir, le coin de sable et de roches ne nous fait pas bonne impression. N'est ce pas un endroit à serpents ? Et puis le vent charrie du sable qui pénètre dans la voiture et s'infiltre partout; La chaleur fait de même et ne facilite pas notre sommeil.

Jeudi 1 septembre 1960 Attak 160 miles

Il ne reste plus que quelques kilomètres de route en terre avant les six mille kilomètres de route goudronnée que nous allons faire mais nous aurons le temps d'y éclater un tubeless.Ensuite c'est une route impeccable jusqu'à la frontière et les deux postes afghans.

Nous passons au Pakistan.

Le paysage n'est pas extraordinaire et nous fonçons vers Peshawar. Comme nouveautés, de grosses charrettes tirées par d'énormes buffles, des zébus, de la réclame dans les rues, des rues aménagées à l'anglaise avec de gigantesques pancartes indiquant les différents postes et quartiers d'une extraordinaire administration. Dans la «police road », tous les départements de cette administration sont indiqués, du » superintendant engineer » à l' »anticorruption section », un peu comme si, à Paris, chaque bureau de la préfecture de police donnait sur la rue et avait droit à une belle plaque d' un mètre sur deux.

Quant à nous il nous faut contacter cette police par l'intermédiaire du « foreigners registration office ».Il est quatre heures : « it is closed ».Il faut revenir le lendemain, ce que nous n'avons pas l'intention de faire.On nous conduit au « Deans hotel » où un certain « mister Shérif » pourra viser nos passeports vers dix huit heures.En attendant, nous allons visiter le « Peshawar museum » où sont entassés des centaines de bouddhas mais dont l'intérêt principal pour nous est formé par les larges ventilateurs.Un quart d'heure de bouddhas noirs, c'est bien suffisant, nous retournons au « Deans hotel ».Le shérif est là et nous remplira relativement vite nos papiers en inscrivant tous les détails de nos passeports.

Route vers l'est, toujours excellente, bordée la plupart du temps de trois rangées d'arbres énormes, plantés certainement par les Anglais, partout une intense population au type définitivement hindou, cheveux noirs, yeux immenses, peau presque noire.Ils sont habillés en blanc, pantalon bouffant et longue chemise à pans comme en Afghanistan mais le turban disparaît ou au moins se raréfie.

On nous explique dans un poste de police qu'un pont est fermé de neuf heures du soir jusqu'au lendemain. Nous tentons d'y arriver mais en définitive nous préférons camper, en contrebas de la route, pas loin de l'Indus que l'on devine très large dans l'obscurité.

Le coin est idéal, nous nous dépêchons de nous endormir.

Mais, peu après minuit, nous sommes réveillés en sursaut, le vent souffle à toute vitesse apportant une épaisse brume, le ciel est couvert d'épaisses nuées qui deviennent vraiment menaçantes.La situation peut devenir critique à la moindre goutte de pluie : la voiture peut s'enliser et ne plus pouvoir remonter sur la route ou l'Indus peut brusquement déborder car nous sommes encore en période de mousson. .

Nous remballons tout puis, après maintes hésitations et le vent s'étant calmé, nous allons camper de l'autre côté de la route où la nuit se terminera tranquillement.

Vendredi 2 septembre 1960 Lahore 244 miles

Peu après notre départ, nous traversons un très long pont sur l'Indus : une morne masse de ferraille gardée par des soldats pakistanais déguisés en anglais puis c'est une région verte qui ressemble tout à fait à un coin de notre Bretagne. Taxilo, fouille gréco bouddhique, un musée extraordinaire où est rassemblée une foule de statues, vases, ustensiles, bijoux d'une valeur inestimable.Tout autour du musée un jardin à l'anglaise aux fleurs merveilleuses. Eparpillés aux alentours, des monuments bouddhiques remarquables surtout par leur appareillage. Nous les visitons assez rapidement jusqu' au moment où plusieurs Pakistanais surgissent avec des vieilles pièces de monnaie et quelques petites statuettes provenant certainement de fouilles clandestines. Hubert achète quelques pièces à l'un d'eux, les autres nous sentant intéressés, nous entraînent dans une baraque où se trouvent, derrière un amas de vieilles planches, de très beaux morceaux de pierre, des petites têtes de bouddha, des fragments de bas relief enfin tout un ensemble qui nous fait loucher. Nous sommes rompus maintenant aux ficelles du marchandage et après, une bonne demi heure de tractations, chacun arrivera à obtenir la pièce ou les pièces de son choix pour le quart du prix de départ. Nous emmenons maintenant avec nous, deux têtes de bouddha, un petit plat en bronze et deux ou trois fragments de bas relief.

Il faut rattraper cette matinée passée à flâner à travers le site de Taxila et à marchander les produits des fouilles clandestines.Nous fonçons sur la route goudronnée passant les immenses bras de l'Indus sur des ponts quelquefois assez particuliers (l'un d'eux est fait d'un assemblage de planches lancées sur de grandes barques et couvertes de paille) On se sent déjà en Inde, des baraques en bois construites n'importe comment, des taxis bicyclettes, des calèches, des vaches sacrées, des lumières multicolores, d'énormes affiches de cinéma et au milieu de tout cela une foule énorme dont une grande majorité de gosses à moitié nus.

Puis c'est enfin Lahore alors que la nuit est déjà tombée depuis un moment.

Nous avons le nom d'une sorte d'auberge de la jeunesse américaine , la YMCA et nous allons nous renseigner à la police.Michel et Henri sont invités à prendre « some cool drinks » puis un flic nous conduit au soi disant hôtel: une grande et infecte bâtisse remplie de Pakistanais peu ragoûtants.Pas question d'accueil chaleureux ni de bons lits, nous irons dormir sur la terrasse avec les indigènes après avoir ingurgité courageusement les restes très épicés d' un repas pakistanais c'est-à-dire un peu de riz et de minuscules morceaux de mouton qui baignent dans une sauce emporte gueule.Quant au véwé il restera seul dehors à notre grande appréhension.

Samedi 3 septembre 1960 Amritsar 51 miles

Nous sommes pressés de quitter la charmante auberge et nous allons prendre un petit déjeuner à l'autre bout de la ville dans une minuscule échoppe: une galette et du lait caillé délayé dans de l'eau.Ragaillardis, nous entamons la visite de la mosquée de Lahore : une large cour bordée de bâtiments en pierres rouges et flanquée de quatre hauts minarets à chaque angle et, dans le fond, la mosquée elle-même avec trois coupoles sphériques en marbre blanc. L'intérieur ressemble à de la pâtisserie baroque, nous préférons aller contempler la ville du haut d'un des minarets.

Cette visite nous a déjà fatigués, conséquence de la chaleur qui règne sur la ville, mais il y a encore le fort mongol à voir.Peu enthousiastes au début, nous reprenons du courage au fur et à mesure de notre avancée à travers ces restes gigantesques. Toutes les salles sont couvertes d'incrustations de pierres de couleur , de morceaux de verre et de dorures.Les baies sont faites de marbre taillé et sculpté comme de la dentelle.Les murs sont en pierre rouge et marbre blanc, les sols recouverts de magnifiques dallages.

Dans l'un des bâtiments est installé un musée où l'on trouve des armes uniques au monde provenant d'un peu tous les pays et prises au cours des batailles livrées dans les environs : fusils à très longs canons et à barillet, escopettes et tromblons, pistolets à double canon, haches etc.Nous passerons toute notre matinée à circuler dans cette ancienne forteresse qui ressemble plutôt à un palais qu'à une caserne. Il nous faut encore voir les jardins de Shalimar avant de quitter la grande ville pakistanaise et, de renseignements en renseignements, nous la parcourons dans tous les sens sans arriver à ces fameux « gardens ».De guerre lasse, nous abandonnons nos recherches et demandons la route de Delhi.Un aimable passant nous indique qu'il faut suivre la rue où nous nous trouvons jusqu'aux... jardins de Shalimar et prendre à droite...

Pas plus difficile que ça.

Les fameux jardins sont en réparation et les fleurs sont absentes.Mais les bassins et les quelques petits pavillons établis aux alentours, sont suffisants pour ne pas nous faire regretter nos longues recherches. Nous ne sommes plus bien loin de la frontière indienne, il nous faut camoufler nos vieilles pierres (dans les pneus de rechange) avant de nous présenter à la douane.Les formalités s'éternisent et tandis qu'Henri s'y occupe patiemment les autres vont faire un brin de toilette.

Enfin nous voici en Inde !

 

Il est quinze heures mais nous quitterons cette nouvelle douane vers dix huit heures : il faut établir la liste de tout ce que nous possédons, en donner la valeur approximative en roupies, fournir les numéros et les marques des appareils, transcrire le tout sur des formulaires que recopie consciencieusement un fonctionnaire , puis ensuite faire le compte de nos avoirs en liquide.Il y a bien d'agréables ventilateurs mais nous sommes prêts de perdre patience et de le faire savoir, lorsque enfin, on nous déclare que « all is finished ».

Nous laissons avec plaisir les grands Sicks enturbannés, les malheureux porteurs filiformes qui se disputent quelques anas et la lampe de la douane qui tourne lentement au gré des deux ventilateurs qui l'encadrent.

Route indienne, jumelle de la route pakistanaise, nous fonçons vers Amritsar emmenant avec nous un joyeux douanier qui rentre chez lui.Nous croisons et doublons des centaines de cyclistes : apparemment de jolies filles aux cuisses longues et lisses et à la longue chevelure noire mais qui , vues de plus près, se révèlent malheureusement être de jeunes Sicks moustachus.Les Sicks en effet ne doivent jamais couper un seul poil de leur corps et bien souvent la jolie fille en chignon à laquelle nous sourirons, se révèlera être un simple garçon.

Amritsar,il est déjà tard lorsque nous pénétrons dans un dédale de ruelles extraordinairement encombrées de vaches sacrées, de vélos cabs,de marchands, de charrettes et d'innombrables flâneurs.Le douanier nous a parlé d'un hôtel « free » prés d'un certain « golden temple »Les indiens nous indiquent chaque fois des directions opposées mais, finalement,après de longues tribulations à travers des ruelles à peine plus larges que notre car, nous sommes invités par des gardes Sicks à passer une ruelle barrée par de larges grilles.Une foule énorme entoure et escalade même la voiture à notre grande frayeur : des visages aux yeux noirs et brillants s'écrasent contre les vitres tandis que de nombreuses mains grattent notre carrosserie.Ce spectacle n'a rien de très rassurant dans la complète obscurité et nous nous dépêchons d'installer les vitres arrière.Hubert, courageusement sorti et parti aux nouvelles, se voit prier d'ôter ses chaussures et de se couvrir le crâne.Ahuri il ne comprendra que lorsqu'un Sick, plus compréhensif, lui expliquera que l'on croyait qu'il voulait se rendre au temple.

En définitive, tout s'arrangera très bien et nous trouverons une pièce magnifique pour l'endroit, située juste au dessus de la porte et ouverte sur trois cotés.

Cet hôtel est plutôt un grand caravansérail à un étage autour d'une vaste cour carrée au milieu de laquelle s'élève une petite construction où nous irons nous laver dans la soirée : au centre se trouve une petite pièce circulaire où se lavent les femmes, tout autour ce sont les hommes.Des robinets sont placés contre le mur et chacun se nettoie sans pudeur inutile.Un énorme Sick tripote sa grosse bedaine en nous expliquant où nous sommes : les grilles renferment une véritable petite cité à l'intérieur d'Arimtsar, le plus important sanctuaire de l'Inde et l' hôtel où nous sommes installés,est réservé aux pèlerins de toutes origines.Ces pèlerins dorment à moitié nus sur des grabats, on peut voir un vieux d'une maigreur cadavérique, vêtu seulement d'un pagne, dormir avec un petit enfant complètement nu, blotti dans ses bras, à coté une femme allaite son bébé et les scènes du même genre se reproduisent à travers toute la bâtisse et sur les trottoirs..

Bien récurés, nous partons prendre un rapide repas dans un petit restaurant.Les plats sont tellement épicés que nous en arriverons difficilement à bout malgré notre appétit et la faible quantité.

Dimanche 4 septembre 1960 Chandighar 145 miles.

Dès le réveil après une rapide toilette, nous partons visiter le « golden temple » qui brille au soleil à quelques centaines de mètres.Pour y accéder il nous faut faire un large détour dans les fameuses ruelles de la veille puis passer par le service d'information ou l'on nous met sur la tête un large chiffon jaune (on ne peut pénétrer dans le « golden temple » sans avoir les pieds nus et la tête couverte).

Nous sommes nantis d'un guide très aimable qui nous fera en anglais, pendant toute la visite, l'historique de la religion et du sanctuaire.Inutile de dire que nous n'y comprenons rien et que nous préférons regarder autour de nous.

Le temple d'or qui porte bien son nom est situé au milieu d'un vaste bassin carré. Tout autour s'élève un large bâtiment ou se trouvent les chambres des pèlerins, quelques salles de culte , des tombeaux ainsi que les salles de service.Notre guide nous emmène aux cuisines où une cinquantaines de femmes, assises en rond, préparent la pâte des galettes en psalmodiant quelques saints versets.Des hommes prennent cette pâte et en font des galettes, d'autres les font cuire sur un large gril puis on les entasse dans une petite pièce.A coté un autre personnage confectionne avec une extraordinaire dextérité de petites friandises que l'on distribuera à l'entrée du temple avec une sorte de crème au chocolat.Nous y goûterons d'ailleurs quelques minutes plus tard en admirant ce temple plaqué d'or et sculpté comme un ouvrage d'orfèvrerie où viennent prier les fidèles autour d'un prêtre qui parcourt le « holy book», un énorme livre qui mesure, ouvert, près de trois mètres.Nous nous baignerions.bien comme la foule des fidèles, mais nous ne sommes que de vulgaires touristes et la visite est terminée.Nous rendons au guide ses étoffes jaunes.

Entourés d'une foule de gosses, nous ferons quelques achats dans les rues environnantes : un brave vieux veut à tout prix nous montrer un « wonderful garden ». Par politesse, Hubert et Eric iront avec lui supporter la vue de « bullet's marks » sur de vieilles briques et l'érection d'un insignifiant monument.

Chandigarh est maintenant notre prochaine étape et nous voulons y arriver assez tôt pour avoir le temps de trouver un gîte.Le véwé n'est pas tout à fait de cet avis et dérègle sa pompe à essence histoire de nous faire perdre une bonne heure.Mais la route est toujours aussi belle et vers cinq heure de l'après midi nous pourrons admirer les montagnes bleues qui forment le fastueux décor d'un Chandigarh qui nous décevra dés le premier abord.

La ville s'étend dans une plaine plate sur une superficie de trente kilomètres carrés.Les deux grands bâtiments de Le Corbusier nous semblent lourds sans arriver à être vraiment imposants.Nous commençons notre visite par le « high cour », le morceau de bravoure du Corbu.

La façade principale, certainement très originale et agréable par certains cotés, n'arrive pas à racheter la pauvreté de la façade postérieure et les enculages désordonnés de l'intérieur.Ah , se méfier du beau dessin sur le papier ... !

Pourtant nous prendrons de nombreuses photos de l'oeuvre de notre renommé Corbu et, peut être, seront elles plus réussies que la réalité. Le secrétariat, énorme et lourd bâtiment de béton ,nous restera à digérer le lendemain, il nous faut trouver l'adresse d'un certain monsieur Dogra.

Principal d'un collège d'ingénieurs, il habite avec sa femme une agréable villa en briques et béton située au milieu d'un calme et très beau jardin. L'intérieur est arrangé avec un goût très raffiné et l'admiration de nombreuses pièces de valeur meublera une banale conversation due à la pauvreté de notre anglais.Nous envahissons la salle de bains pour nous rendre un peu plus présentables pour le dîner qui nous changera beaucoup de celui de la veille.

Ensuite nous allons dormir au collège avec les étudiants sur la terrasse de leurs maisons.Auparavant, nous prendrons une bien agréable douche.Malheureusement nous ne pourrons pas nous endormir rapidement car les étudiants veulent à tout prix connaître le nombre de nos girl friends ainsi que celui des homosexuels européens.Ce problème a l'air de fort les travailler mais cela nous laisse bien indifférents et nous préférons aller rêver seuls à nos lointaines amours.

Lundi 5 septembre 1960 Chandigarh 45 miles

Douche, lessive puis petit déjeuner princier à une table particulière dans la cantine des étudiants. Après, nous visitons les installations du collège pour faire plaisir à monsieur Dogra car les outils plus ou moins perfectionnés, les maquettes et moteurs ne nous apprennent pas grand-chose si ce n'est qu'un jour ou l'autre, il faudra compter avec une industrie et un commerce indien ambitieux.

Ensuite nous allons visiter le « Secrétariat » notre grande déception de Chandigarh : du béton, de la couleur, des plans désordonnés, un travail mal fini, le « secrétariat » est un véritable bordel qui n'est pas à la gloire du Corbu.Nous ne nous attardons pas, d'ailleurs nous devons aller déjeuner chez les Dogra.Déjeuner très agréable précédé de la visite du jardin.

Ensuite nous allons faire un tour à l'office des architectes, nous visitons le bureau de Le Corbusier puis partons à travers la ville, en compagnie d'un jeune et sympathique architecte indien.C'est d'abord le Club, élégante construction en forme de bateau, puis les nouveaux logements des étudiants de l'université, un hôtel simple mais pratique pour ce pays, le lourd bâtiment de la librairie qui présente à l'intérieur une symphonie de couleurs assez réussie et enfin quelques logements économiques pour ceux qui gagnent soixante roupies par mois (c'est-à-dire six mille francs), cent cinquante et deux cent roupies.

Les solutions apportées par les architectes tels que Jeanneret, sont simples, efficaces et étudiées avec soin pour le logement de familles à la vie intérieure peu développée et ce sera une des seules choses à retenir de ce Chandigarh qui se sera révélé une assez grande déception.

L'urbanisme étudié par Le Corbusier est simple et pratique mais trop peu avancé pour que l'on puisse avoir une idée de son fonctionnement.Quant aux constructions de villas individuelles par les architectes indiens ce sont déjà, après trois ans, de véritables clapiers dont les matériaux et les couleurs vieillissent très mal dans ces climats chauds et humides.

La main d'oeuvre est peut être pour beaucoup dans cet état de choses.Nous verrons s'élever le bâtiment de l'assemblée sans grue, le béton étant transporté dans de petites corbeilles sur la tête des femmes s'arrêtant entre deux chaînes pour allaiter leurs gosses. Ceux ci, à moitié nus, jouent dans les échafaudages et les ferraillages au mépris des bastaings qui tombent du haut de la construction.La nouvelle capitale du Pendjab s'élève à l'ère atomique, avec des moyens plus dérisoires que ceux des romains.

C'est pourquoi notre jugement d'européens est peut être un peu hâtif. Mais que Chandigarh nous aura déçu ! ! !

Retour au collège, nous sommes trempés de sueur, la chaleur humide de l'Inde nous liquéfiant littéralement.Nous sommes heureux de retrouver nos douches puis la cantine oû nous dînerons à la lueur d'une bougie.

Deux étudiants nous invitent à une promenade sur le lac artificiel pour profiter de la pleine lune.Ce qui aurait pu être une soirée romantique inoubliable avec quelques présences féminines ne sera qu'une insipide perte de temps oû le moment le plus agréable sera celui passé à faire avancer la lourde barque.

Toilette et lessive (qu'est ce qu'on lave quand il fait chaud !) et recherche du sommeil après quelques oisives discussions avec les étudiants toujours préoccupés par leurs problèmes sexuels.

Mardi 6 septembre 1960 Delhi 185 miles

Miss Chaudury, architecte indienne, grande admiratrice de le Corbusier, recevra comme une douche froide, l'avalanche de nos impressions et nous la laisserons souriante mais estomaquée quand même, pour rallier Delhi, but de notre voyage.

Le paysage est toujours le même, de grands arbres, des palmiers, de longues herbes vertes et, un peu partout, des marécages ou poussent de magnifiques roseaux.Nous nous apercevrons durant cette rapide étape que la vitesse est l'ennemie de la photo et nous raterons ainsi quelques belles images de femmes et d'enfants.

Nous ne déjeunons pas. Un gosse nous présente quelques bananes, nous lui tendons quelques anas en nous attendant aux habituelles réclamations mais il nous tend encore d'autres bananes et veut même nous rendre de la monnaie que nous refusons nous repartons avec un régime entier.

Entrée dans le vieux Delhi par d'immenses bidonvilles où règne une intense misère que nous ne pénétrerons pas.Nous nous faufilons rapidement au milieu des charrettes et des vaches, des innombrables cyclistes et vélos taxis.

Nous avons une adresse au « Lady Hardinge médical collège ».La principale de ce collège à laquelle on nous présente n'est que la soeur de celle que nous devons voir.

Nous allons donc au 7 de la « York road » en plein New Delhi . le Delhi moderne, perdu dans la verdure, ville résidentielle et politique sillonnée de larges avenues ombragées se croisant chacune par un large rond point.Partout de grands bâtiments administratifs en pierre rouge, sans style et sans beauté mais bien placés et somme toute assez agréables.

Nous voici au 7 York road, miss Chaudury, doctoresse d'une cinquantaine d'années, nous reçoit en sari.Elle nous présente à son frère, politicien connu, et à la douce et très jolie femme de ce dernier.Un peu plus tard, nous ferons connaissance d'une troisième sœur, artiste de talent.Toutes ces femmes intelligentes et distinguées en sari nous font penser aux patriciennes de Rome et nous regrettons une fois de plus que notre anglais ne nous permette pas de sortir de la conversation la plus banale.Ne serait ce que pour parler plus facilement avec la très jolie Joya , âgée de quinze ans qui vient de faire son entrée : chacun de nous voudrait bien avoir pour lui tout seul le regard de ses immenses yeux noirs et y rêvera peut être pendant la nuit passée sur la terrasse après un sympathique dîner à la lueur des chandelles.

Mercredi 7 septembre 1960 Delhi 25 miles

Les habituelles courses qu'entraîne le passage dans chaque capitale, nous prendrons tout le début de la matinée.Ensuite miss Chaudury nous fera visiter son ancienne maison construite d'après ses plans puis un vieux bâtiment en pierre rouge.De là, nous irons au studio de sa soeur admirer ses oeuvres souvent assez remarquables. Cette dernière nous invitera en compagnie d'une jeune journaliste indienne dans un des restaurants les plus chics de la ville,certainement, si l'on en juge par le conditionnement d'air : la chaleur est étouffante dehors mais ici, on gèle.en tout cas on ne mange pas trop mal et nous apprécierons une nourriture pas trop « hot », la glace à la pistache et le café.

Bien rassasiés nous allons retrouver la bonne chaleur humide de l'extérieur puis allons admirer les pièces inestimables d'un des magasins d'antiquités le mieux fourni du monde.Nous verrons passer entre nos doigts des statues, des vases, des colliers et des bijoux d'une valeur de plusieurs millions.

Nous le quitterons pour le « red fort », immense construction dans le style de celui de Lahore.Celui d'Agra étant, parait il, beaucoup plus intéressant nous ne nous y attardons pas et après un rapide tour dans le vieux Delhi pendant lequel nous aurons le temps de nous fairebigorner par un moto taxi, nous rentrons à York road ou nous dînerons en compagnie de miss Chaudury.

Jeudi 8 septembre 1960 Delhi 43 miles

La veille au soir nous avons été voir le nouveau grand hôtel de Delhi, hôtel qui a coûté des fortunes et reste à peu près vide toute l'année. L'architecture, bien qu'imposante, n'est pas très réussie.Moins en tout cas que celle de l'ambassade des Etats-Unis qui se trouve en face : bâtiment dans le style de celui du pavillon de Bruxelles, d'une légèreté arachnéenne, simple et de bon goût.il pose une fois de plus le problème de l'architecture de Le Corbusier.

Le matin, rapide thé vers huit heures, nous allons à l'ambassade de France.Eric, resté seul avec miss Chaudury, apprendra avec surprise que Nehru ne s'occupe pas du tout de son pays, cherchant uniquement un rôle facile sur le plan international et à bien placer sa famille et que le jour n'est pas éloigné ou il fera la culbute. ! Que de changements en perspective dans tous ces pays du moyen orient ! Malheureusement, il semble qu'ils puissent se faire dans l'orbite du communisme.

Après l'ambassade nous allons prendre le petit déjeuner : oeufs brouillés et tomates sur toasts, tasses de thé.

Ensuite nous allons à l'ambassade d'Iran, puis prendre des photos chez l'antiquaire et faire un tour vers l'ambassade américaine et les grands bâtiments administratifs de Delhi.Comme déjeuner nous prenons des bananes, des petits gâteaux à la noix de coco et des bouteilles de lait au chocolat et à la mangue.

A quatre heures nous allons prendre miss Chaudury et la charmante Joya pour aller visiter le « Outh minar », grande tour en pierre rouge d'une bonne cinquantaine de mètres de haut ; Des le retour nous nous transformons en gentlemen pour aller dîner au Club et terminer la journée dans la nouvelle maison du père de Joya.

 

 

 

 

 

Vendredi 9 septembre 1960 Fathepur Sikri 147 miles

Rangement de la voiture que nous avions complètement vidée pendant notre séjour à Delhi.Long passage au bureau des passeports puis aux agences aériennes (on parle d'un rapatriement d'Henri à partir de Téhéran). Nous avons fait nos adieux la veille au soir et Joya est venue faire les siens avant de partir en classe ; elle les a fait d'ailleurs si discrètement qu'elle n'a reçu pour toute réponse , que des grognements endormis.

Nous pouvons prendre la route d'Agra et de Fathepur Sikri.

Le temps magnifique jusqu'à présent se couvre et nous aurons un ciel gris et nuageux pendant tout le trajet.Nous aurons d'ailleurs l'occasion de le regretter à la vue de trois superbes éléphants domestiques et de quelques singes qui gambadent sur les bords de la route. D' autres scènes sollicitent encore nos appareils : des femmes en saris verts, jaunes ou oranges, portant des empilements de vases sur la tête, des gosses complètement nus qui pataugent dans la boue en compagnie d'énormes buffles, des nobles vaches sacrées qui traînent de lourdes charrettes, de vieux Sicks plus ou moins saints ou plus ou moins intouchables qui se promènent à moitie nus, des petits vendeurs de bananes et de nombreux autres aspects de la vie indienne.

Nous arrivons ainsi à Mathura eu se trouvent les découvertes provenant de deux fouilles de l'endroit: bouddhas, déesses nues aux formes généreuses, bas reliefs, petites figurines, le tout sculpté dans la pierre rouge.

A Agra, il est déjà trop tard pour commencer une visite et nous allons à vingt cinq miles de là ; à Fathépur Sikri où se trouvent des daks bungalows.

Une petite route nous conduit à l' intérieur d'une enceinte fortifiée dans laquelle se situe Fathépur Sikri, la capitale morte de l'empereur Akbar, maintenant royaume des singes, des paons, des perroquets verts et des tourterelles. Le dak bungalow est une vaste construction en pierre rouge aux immenses chambres hautes de plus six mètres et larges d'autant.Au centre de la pièce est suspendue une grosse planche garnie d'une lourde étoffe, reliée à l'extérieur par une longue corde qu'un boy accroupi tirera toute la nuit pour quelques roupies.Nous ne nous paierons pas de boy ventilateur mais un repas

qu'on nous fera attendre pendant deux bonnes heures.Nous avalerons rapidement le riz, les pommes de terre, les rondelles d'oeufs perdues dans une sauce abominable puis nous irons chercher un peu pressé sommeil dans la touffeur moite de notre chambre.

Samedi 10 septembre 1960 Agra 34 miles

Deux énormes vautours ont veillé sur notre tranquillité, perchés sur le toit du dak bungalow.Nous partons visiter ce qu'Aldous Huxley a appelé « le témoin muet d'un rêve évanoui », des grandes portes, des palais, des mosquées de marbre blanc, des tombeaux extraordinairement ciselés et travaillés.Cette ancienne capitale abandonnée n'est plus hantée que par les touristes et les nombreux guides qui réclament le bakchich pour avoir fait un signe de la tête ou s'être accroupi à côté de nos chaussures ôtées avant l'entrée de la mosquée.Leurs gosses, nus, jouent, pleurent et s'épouillent un peu partout.Pour se débarrasser de ces pauvres gens nous faisons semblant de ne pas comprendre l'anglais et parvenons ainsi à rester à peu prés seuls.

Notre visite dure jusqu'à la tombée d'une lourde pluie chaude qui, rafraîchissant l'atmosphère, sera la bienvenue.Pendant le trajet vers Agra, la pluie aura eu le temps de s'arrêter et nous aurons la chance de visiter le Taj Mahal sous un beau ciel nuageux et de superbes reflets sur le marbre fraîchement lavé.Le Taj Mahal est entièrement construit en marbre blanc, « rêve de marbre conçu par les titans et ciselé par des orfèvres », ce merveilleux monument, élégant et gracieux malgré sa taille, fut élevé par Shah Jehan pour servir de tombeau à son épouse bien aimée Mumtaz Mahal. Cet édifice immaculé, entouré d'un calme et ravissant jardin est un des plus beaux que nous ayons vus au cours du voyage et certainement le plus attachant.Nous resterons longtemps assis à goûter la paix profonde de ce bel ensemble.

Ensuite nous allons visiter le « red fort », une large enceinte de pierres qui renferme de nombreux palais et mosquées, formant un ensemble digne d'un rêve de gosse avec d'innombrables escaliers dérobés, de paisibles et inattendues petites cours intérieures, des

loggias de marbre incrusté de pierres fines, des mosquées de marbre blanc et partout de gracieuses galeries.

Une lourde pluie viendra interrompre notre visite, une énorme couche de nuages noirs a recouvert le ciel, rendant toute photo impossible et nous quittons à regret le « red fort » qui fermera ses portes derrière nous :Il est cinq heures l'heure de la fermeture, l'heure du thé.

Il est trop tard pour compter allonger l'étape de la journée et nous pensons déjà nous installer à l'hôtel lorsque nous apercevons perdu dans la verdure la pointe sympathique et inattendue d'un clocher d'église Les lieux étant déserts et l'église certainement abandonnée, nous demandons à tout hasard à un cycliste s'il sait où se trouve un YMCA, il ne connaît pas de YMCA mais un YWCA à quelques dizaines de mètres de nous : l'idée de dormir en compagnie de jeunes filles indiennes nous sourit agréablement mais la directrice de l'endroit n'est pas du même avis et nous envoie dans un collège de garçons.

Là, nous trouverons une petite chambre ou nous pourrons tranquillement faire notre tambouille en nous intéressant aux ébats de trois petits lézards : ils attrapent avec une extraordinaire agilité, papillons, mouches et moustiques.Nous regretterons qu'ils ne soient pas plus nombreux pour exterminer les innombrables bestioles qui nous harcèleront impitoyablement toute la nuit.La chaleur aidant nous ne dormirons pas beaucoup.

Dimanche 11 septembre 1960 Delhi 130 miles

Il nous reste à voir la tombe d'Akbar à Sikandra, légère et belle construction de pierre rouge aux innombrables coupoles de marbre blanc, royaume des perroquets et des tourterelles. Nous resterons toute la matinée à admirer ce chef d'oeuvre de l'architecture musulmane qui clôturera notre visite des vestiges de la civilisation moghole.

Nous ne les verrons plus maintenant que projetés sur nos écrans et nous prenons photos sur photos.

Rapide retour à Delhi à travers le même paysage inondé, plein de palmiers et d'arbres immenses sur lesquels sont perchés de sympathiques vautours.

Ce retour à Delhi marque le début de la seconde phase de notre voyage et, en prévision de tout ce qui nous attend avant l'arrivée à Paris, nous décidons de vérifier la tenue de la suspension du véwé.Nous y passerons la fin de l'après midi et le début de la matinée, occupant sans vergogne les jardins de l' YMCA, alors que nous n'y coucherons même pas le soir.

En effet nous avons téléphoné à un jeune couple rencontré à Chandigarh et nous nous sommes faits inviter pour le dîner (ne pas croire que notre coup de fil était intéressé ... ) Nous passerons avec Samuel de Beauvais et sa femme Claude une bien agréable soirée ou les disques de jazz, le whisky, la fine et le café nous changerons un peu de l'hospitalité très gentille mais un peu trop indienne à notre goût, des Chaudury.

Et puis, surtout, nous pouvons parler français. Nuit agréable sur la terrasse.

Lundi 12 septembre 1960 Jullundur 233 miles

Adieux à Claude, nous allons à l'ambassade avec Samuel, envoyer nos pellicules par la valise diplomatique et faire un brin de causette avec le consul.

Adieux ensuite à miss Chaudury.

Nous prenons la route du Cachemire, encombrée par de nombreux camions qui heureusement se laissent facilement doubler : un préposé se tient à l'arrière du véhicule et dés le premier coup de klaxon, il appuie sur une sonnette . Aussitôt une main jaillit de la cabine et nous fait signe de doubler.Quelquefois, la main est remplacée par une face barbue et bon enfant.Les Sicks sont en effet, presque tous, chauffeurs que ce soit de taxis, camions, cars ou voitures particulières.Autres spécialités sicks , être charpentiers ou fonctionnaires.En tout cas, quelque soit leur poste, ils présentent toujours très bien avec leurs turbans coquettement arrangés et leurs barbes amoureusement frisées, comestiquées et mises chaque matin dans un filet.

Nous rencontrons de nombreux passages à niveau où nous devons chaque fois attendre le bon vouloir des trains indiens. Heureusement, nous avons chaque fois de la compagnie, que ce soit des charmeurs de serpents ou des gosses réclamant l'éternel bakchich en s'accrochant aux vitres de la bagnole.

Des gosses, on en rencontre partout, nus, déguenillés, barbotant dans l'eau, jouant sur la route ou vendant de menues broutilles, jolis comme tout avec leurs immenses yeux noirs et leurs minces petits corps bronzés.Il y en a même de trop de ces gosses et le gouvernement fait son possible pour enrayer cette croissance fantastique.On a stérilisé hommes et femmes dans de nombreux villages,on a ingénument introduit des bouliers calendriers dans les familles, bouliers qui ont obtenu plus de succès auprès des gosses qu'auprès des parents, le rythme de natalité va toujours en augmentant.Mais comment refreiner cette augmentation régulière dans un pays ou la statuaire érotique est une des plus développée et des plus osées du monde et où l'amour du corps humain est devenu une religion..

Pour ce soir, nous laisserons les Indiens à leurs amours et à leurs problèmes de natalité pour aller dormir dans un dak bungalow.Plus moderne que celui de Fathépur Sikri, nous y trouverons électricité et ventilateur ce qui nous permettra de bien vite nous endormir.Demain nous voulons nous lever à quatre heures pour rallier Srinagar dans la journée.

Mardi 13 septembre Srinagar 311 miles

Hubert nous réveille en effet à quatre heures trente et nous activons nos préparatifs pour démarrer alors que le jour n'est pas encore levé. Nous roulons sur une route étroite bordée d'énormes bouquets verts et mauves, des sortes de liserons.

Hubert et Eric au volant discutent du tableau de chasse du véwé : un perroquet, une poule et un ramier.Au cours du précédent voyage lui rappelle Eric, la onze citroën s'était montrée beaucoup plus agressive, elle avait exterminé des familles entières de gallinacés, renversé une vache, cogné un âne et s'était même attaquée à un gros camion.Ils

sont interrompus par un choc sourd : un rapace d'au moins un mètre cinquante d'envergure vient de s'écraser sur le devant du car... Photos, quelques minutes plus tard ce sera une tourterelle.

Ça aurait pu être un Sick mais nous freinons à temps,il réclame dix roupies comme taxe pour notre entrée dans le territoire du Cachemire.Nous nous exécutons.

La route grimpe maintenant à travers une végétation luxuriante :de nombreuses sortes d'arbres mais surtout des conifères et d'étranges plantes grasses.Nous croisons d'abodants et incessants convois militaires L'Inde, pays neutre, entretient une armée d'un million d'hommes dont le quartier général semble se situer dans le coin.Toujours est il que nous croisons des milliers de camions sur cette route.

Passage d'un petit col, nous suivons ensuite une profonde vallée en V au fond de laquelle coule une large et rapide rivière que la route surplombe d'une bonne centaine de mètres.Des bandes de singes courent à travers les buissons poursuivis à coups de fronde par les paysans.

Nous pensons arriver assez tôt à Srinagar mais l'accomplissement des beaux rêves n'est pas de ce monde ; pas, en tout cas, lorsqu'on possède un baby car capricieux comme le notre.La troisième vitesse se met à sauter et malgré la connaissance approfondie du véhicule qu'ont nos mécaniciens et une bonne heure passée à bricoler le levier, elle continuera à nous enquiquiner toute la route.Passage à travers un long tunnel situé à neuf milles pieds d'altitude, nous redescendons dans une plaine en même temps que la nuit . Nous continuons à avancer jusqu'à neuf heures avant de planter la tente (il y avait longtemps) sur un petit espace herbeux ce qui est rare dans cette plaine couverte de rizières.

Mercredi 14 septembre 1960 Patan 59 miles

Nous ne sommes qu'à quelques kilomètres de Srinagar, ville aux maisons de bois dont l'intérêt principal est le Jhélum, rivière couverte des fameux house-boats.Le coup d'œil est en effet très pittoresque mais nous ne nous attardons pas, nous voulons voir les idylliques paysages des environs . Idylliques d'après les guides, car pour l'instant, nous ne pouvons qu'admirer de jaunes rizières bordées de peupliers.

A vingt miles de Srinagar, nous arrivons à Tanmarg, petit village en bois où nous sommes aussitôt entourés par des dizaines d'énergumènes braillards.Chacun veut nous refiler son garage ou ses poneys et hurle le plus fort possible pour passer devant le copain.Nos « No » énergiques n'impressionnent personne et nous devrons acquérir notre tranquillité par la location d'un petit garage situé un peu en dehors du village ainsi qu'à l'arrivée d'autres touristes.Ce harcèlement continu du touriste est très particulier au Cachemire, pays très touristique.Déjà, à Srinagar, on nous a couru après toute la matinée pour nous proposer « house boat » ou « some accommodation ».

Pour le moment, nous sommes tranquilles : Michel ausculte le moteur qui manque d'énergie, Hubert nous prépare un excellent repas, Eric fait sa chronique, Henri a mal aux dents.

Après le repas copieux constitué de sardines, tomates aux oeufs durs, oeufs sur le plat et pâtes au corneed beef avec thé comme boisson, nous décidons d'aller à pied à Gulmarg, village situé à six miles de là, dans la montagne.

Les Tanmarguois sont sidérés ou plutôt dépités de voir des « Sahib » refuser leurs poneys et partir à pied dans la montagne.Ils le seront encore plus à notre retour vers dix sept heures.Notre petite promenade d'une vingtaine de kilomètres sera fort agréable mais un peu décevante.Au milieu de ces sapins de plus de trente mètres de haut, des maisons de Gulmarg nous avons l'impression de nous promener à travers les Vosges ou la Foret Noire. Nous n'en sommes seulement qu'à dix mille kilomètres dans ce Cachemire que tout le monde nous a décrit comme le paradis sur terre.

Durant la grimpette nous rattrapons un vieux bonhomme écrasé par un énorme fagot de bois.Nous lui proposons de l'aide et nous nous partageons la charge imposante jusqu'au sommet où le vieux nous remercie ...en nous réclamant un bakchich.Que nous sommes loin de l'Afghanistan ! ! !

Un peu déçus par Gulmarg, nous nous rattrapons par une petite balade d'une demi heure à dos de poneys puis nous redescendons à travers la majestueuse forêt.

Le véwé nous a sagement attendus pour que Pepère termine son travail de soigneur.Il est dix neuf heures lorsque nous quittons Tanmarg et nous allons installer notre campement quelques miles plus loin.

Jeudi 15 septembre 1960 Chashma shahi 97 miles

Excellente nuit.Pour cela au moins le Cachemire est inégalable.

Nous poursuivons notre promenade, traversons le curieux village de Sopore et longeons d'assez loin le « Wular lake ».Toujours le paysage de peupliers et de rizières mais en plus de curieuses plantes rouges. Nous croisons des paysans portant de véritables meules de foin sur le dos et des femmes avec sur la tête de grandes corbeilles remplies de bois, puis un homme entièrement nu, un sage ?

Nous passons deux minuscules chaînes puis traversons une jolie région aux maisons au toit de chaume entourées de vergers.Des guirlandes de piments rouge pendent sur les murs de briques jouant agréablement avec les autres teintes.Sur le lac et sur de petits canaux qui s'en écartent, flottent les habituels petits house boats.

Quittant ce lac, nous en retrouvons un plus petit bordé d'une large bande de lotus. Quelques uns sont en fleurs et nous nous enfonçons courageusement, très courageusement, de la vase jusqu'à la taille pour aller photographier de tout près quelques magnifiques spécimens. Peine inutile, deux pêcheurs nous proposent pour deux roupies de nous emmener de l'autre côté du lac où nous pourrons admirer de plus nombreuses plantes.Nous montons sur leurs étroites et longues pirogues à partir desquelles ils harponnent le poisson avec de larges perches terminées par quatre pointes et nous ferons ainsi un agréable petit tour.

Midi, nous nous arrêtons sur les bords d'un large ruisseau à l'ombre des saules et nous resterons là toute l' après midi à écrire et à nous laver.Adieu la vase.

Ensuite nous longerons le lac de Dal et le Jhélum couverts d'house boats rangés les uns contre les autres, séparés par une étroite ligne d'arbres qui s'avancent dans l'eau.Tout autour du lac, l'eau a envahi la terre et creusé des multitudes de petits canaux formant tout autant d'îles minuscules plantées d'arbres et même parfois habitées.Sur l'eau, recouverte de plantes vertes, se faufilent de nombreuses et légères pirogues et de l'ensemble se dégage une impression vraiment enchanteresse.

Tout cela nous viendrons l'admirer demain, il fait déjà très sombre et il faut camper.Impossible sur les bords encombrés du lac, nous prenons une petite route qui grimpe vers la montagne et dressons la tente un peu plus haut.

Vendredi 16 septembre Samedi 17 septembre 1960 Lahore 461 miles

Dès le réveil, nous partons visiter les jardins de Shalimar et de Nishat.Fatigués par leur exubérance estivale, ils se recueillent déjà avant le long sommeil des prochains mois d'hiver.Ils ne nous présentent que des fleurs moribondes et de chétifs parterres.Nous n'y restons que le temps nécessaire à une vue d'ensemble.

Nous longeons le Jhelum et ses house boats, un peu déçus par le spectacle beaucoup moins féerique que la nuit, le soleil n'étant même pas de la partie ; lui aussi doit être fatigué, il fera la grasse matinée jusqu'assez tard dans la journée. Nous ferons quelques tours dans les étroites ruelles du vieux Srinagar, histoire de connaître un peu mieux la capitale du Cachemire et la quittons décidés à faire une longue étape.

Auparavant il nous faut voir un vieux temple hindou qui se trouve dans les environs.

Après de nombreuses recherches, des allers retours incessants, nous dégotterons une grotte abritant un petit autel hindou et plus loin les restes imposants mais sans grand intérêt d'un temple, dernière déception de notre séjour au Cachemire.

Repas sur les bords de la route, nous passerons le tunnel alors que la nuit commence à tomber.A travers les gorges trempées par les récentes pluies nous croisons comme à l'aller des centaines de camions qui se suivent tous les cent mètres.Leur vision dans la demi obscurité a, sans raison, quelque chose d'assez angoissant.

Barrage, un officier nous demande de signer un papier le déchargeant de toute responsabilité si nous voulons continuer en pleine nuit, la route n'étant pas « clear ».

Nous signons, décidés à poursuivre.La route n'est pas très « clear » en effet et nous aurons des sueurs froides à la traversée délicate de quelques sombres éboulis noirâtres.

Il est cinq heures du matin lorsque nous arrivons à Amritsar.la frontière n'est plus très loin mais nous nous trompons de route et faisons de la sorte un petit détour d'au moins cent kilomètres : nous avions pris carrément une route en direction de... Srinagar.La fatigue ou un goût de « revenez y » ?

Frontière, paperasseries interminables, fouille de la voiture mais non découverte de nos antiquités.0uf...passons au Pakistan, l'après-midi est déjà fort entamée.En effet après notre détour, à six kilomètres de la frontière, un gros personnage énorme, suant et rigolard à accroché Eric alors qu'il faisait des courses, a offert à la bande de prendre « some sweets » et une écoeurante boisson à base de lait caillé.Puis il nous entraînera presque de force dans sa maison, la plus grande du village nous montrer ses photos,gravures et livres, tous du plus mauvais goût et totalement inintéressants.Notre gaillard est général en retraite et nous lèguera une photo en grand uniforme et deux chemises qu'il sortira de sa chambre, une piaule de soldat de deuxième classe avec épinglées aux murs des photos d'atroces femmes nues et sur la table de nuit un traité de ... sexologie.Nous ne pourrons partir qu'après l'avoir suivi allégrement jusqu'au « top » de la maison, unique en son genre à l'entendre : une terrasse et une grande pièce où il s'est installé son petit temple personnel. Fouillant dans les placards, il sortira une boite et un petit chandelier en métal dont il nous fera cadeau.

 

Brave général, bon vivant, un peu cinglé, tu nous auras fait marrer mais nous serons quand même contents de te quitter. Arrivons à Lahore avec un auto stoppeur allemand.Il nous faut aller au garage pour notre levier de vitesse et un graissage général.Pour le premier une collerette est fichue, un ouvrier nous en bricolera une autre avec une habileté extraordinaire. Quant au graissage, le pont est complètement à sec.Pendant ces opérations qui dureront près de trois heures, nous n'aurons pas le temps de nous ennuyer, nous sommes dans un garage usine : en effet sous un hangar de cinquante mètres sur vingt, une centaine de Pakistanais travaillent à la construction de cars. Comme les Afghans ils achètent aux américains les moteurs et châssis de camions ultra modernes et se lancent dans l'élaboration du reste c'est-à-dire qu'ils allongent les poutres du châssis, montent une légère armature de cornières qui soutiendra le reste de la carrosserie en planches épaisses et en grosses pièces équarries, sciées et rabotées sur place sans aucune mesure. On recouvre le tout de plaques de tôle importées du japon, on peint tout cela de couleurs vives et le car est fin prêt après une semaine de travail.Les voyageurs peuvent s'asseoir à plus de soixante sur leurs étroits et peu confortables sièges, regarder le paysage à travers les fenêtres aux toutes petites vitres coulissantes et respirer plus ou moins bien grâce à une ventilation assez soignée et fort astucieuse.Quant au chauffeur il a droit à une lucarne au dessus de sa tête, une ventilation pour les pieds et une petite fenêtre sur les cotés du pare brise.On le soigne de ce côté là, car le pauvre travaille comme un forcené, la visibilité est presque nulle, le changement de vitesse est situé à l'arrière de son fauteuil et la conduite de ce véhicule n'a rien d'une sinécure.

Amusés d'abord par la construction de ces cars en bois, nous devenons vite admiratifs en voyant les ouvriers travailler sans machines, sans mesure avec des outils rudimentaires dont les principaux sont le marteau et la scie et arriver ainsi à obtenir des véhicules d'allure relativement moderne et avec certains perfectionnements tels que la ventilation , les vitres coulissantes et les portes pliantes.Et tout ça, dans ce garage de dimensions réduites où stationnent en plus les charrettes ( tirées par des vaches sacrées) qui apportent les tôles japonaises.Nos réparations sont enfin terminées, le levier de changement de vitesse ne saute plus qu'une fois sur quatre et le pont est à moitié plein.

Nous allons à notre YMCA situé à quelques mètres de là.

Comme la fois précédente, il y a déjà une bonne quinzaine de jours, nous grimpons tout notre fatras sur la terrasse ou sans gêne aucune, nous ferons notre cuisine.

 

Dimanche 18 septembre

Lundi 19 septembre 1960 Nokkundi 1034 miles

Six heure du matin.Nous faisons vite nos bagages, les descendons silencieusement, rangeons la voiture et démarrons rapidement: tout cela par malhonnête pour ne pas payer le prix de la nuit.

Maintenant nous faisons route vers le sud, la route est toujours goudronnée, le paysage très plat parsemé de hauts palmiers.Nous roulons rapidement ne pensant qu'à faire diminuer le nombre de kilomètres qui nous séparent de l'Iran.

Pourtant nous n'hésiterons pas à nous baigner pendant une bonne demi heure dans l'eau boueuse d'un canal : la chaleur sans être intenable est suffisamment forte pour que nous sachions apprécier cette petite trempette. Toujours des palmiers et le même paysage plat mais assez vert.Nous passons sur un très long pont de ferraille la rivière Jhelum, la repassons une seconde fois et continuons vers le sud ne nous arrêtant que pour la réparation d'un éclatement et les photos d'écriteaux bien pakistanais. Le soir tombe, nous nous installons pour la route de nuit qui sur ces routes goudronnées devient beaucoup plus acceptable que sur la tôle ondulée ou sur les routes afghanes.Nous passons l'immense Indus sur un pont de quatre vingt neuf arches et remontons vers le nord en direction de Quetta.

Au fil des kilomètres, la route est devenue moins bonne, étroite et assez ondulée avec de plus en plus de parties en terre.La verdure, elle, devient de moins en moins dense et le jour se lèvera même sur un paysage désertique.La route longe un large oued asséché bordé de falaises ocres sans aucune végétation.La pureté matinale, la goutte dorée du soleil levant, les lointains bleutés et les taches rouges des caravanes qui descendent au milieu de l'oued forme un paysage presque surnaturel d'une douceur et d'un calme extraordinaire.

La voiture certainement éperdue d'admiration se relâche et n'avance plus du tout.Ce qui lui vaudra un sévère examen de notre mécanicien à Quetta ou nous arrivons.

Quetta est une petite ville paisible et agréable aux avenues perpendiculaires plantées d'arbres, fraîche malgré sa position en plein désert, bien achalandée et habitée par une population d'allure sympathique.Les gens s'approchent et nous demandent d'où nous venons, ce que nous voulons et déclarent qu'ils sont prêts à nous rendre service.Les prix ne sont pas exorbitants et nous en profitons pour faire vulcaniser trois pneus éclatés et acheter quelques provisions, entre autres, vingt quatre pains blancs en prévision du désert. Auparavant nous aurons fait un tour à la poste restante où Henri et Eric ont du courrier qui amène de plus ou moins bonnes nouvelles ; il semble qu'Henri puisse rentrer avec nous par la route. Nous passons notre après midi à écrire, à acheter du scotch pour notre carte et à six heures, après avoir été chercher nos pneus, nous prenons la route pour l'Iran.

Une route étroite mais goudronnée et relativement bonne à part les très nombreux cassis souvent fort brutaux.

Le paysage est désertique. Normal, nous sommes dans le désert du Belouchistan mais la nuit tombée rapidement ne permet pas de nous en rendre compte.

Il fait bon, même assez frais et nous roulons ainsi jusqu'aux environs de Nokkundi ou nous nous arrêtons pour nous reposer; il est quatre heures. Nous avons roulé continuellement depuis Quetta à part une halte rapide pour un pneu crevé.

 

Mardi 20 septembre Zahedan 171 miles

Au réveil, nous pouvons nous rendre compte de l'allure du désert, une immense étendue noire, désespérément plate sans rien, rien, ni un arbuste ni une colline, la route elle même ne se détachant pas. Seuls se dressent vers le ciel les poteaux électriques qui longent la voie ferrée.Cette voie ferrée qui doit donner le courage nécessaire aux cyclistes pakistanais qui se lancent dans des étapes de plus de deux cent kilomètres.Mais oui, des cyclistes ! Nous en verrons passer deux, grimpés sur leurs hautes machines, avec comme tout bagage, une gourde d'eau et leur ténacité.Il est difficile après ça de vouloir jouer aux courageux explorateurs.

Certains, sans doute plus riches, voyagent directement sur les rails, deux hommes tranquillement assis à l'ombre d'un immense parapluie et trois autres qui poussent. D'ailleurs, ce désert avec de l'eau et une voiture qui marche n'a rien d'effrayant.Il fait chaud mais d'une chaleur sèche cent fois plus agréable que la chaleur de l'Inde.Et puis dans le désert on a toujours à un ou deux kilomètres de soi des lacs ou même quelquefois la mer, une mer calme et brillante dont il ne faut seulement pas se rapprocher , le mirage se révélant une bête farouche.

Nous arrivons à Nokkundi où se trouve le poste de douane pakistanais, bien que nous soyons encore à cent cinquante kilomètres de la véritable frontière.

Le village est formé de quelques maisons de terre placées n' importe où dans le sable.Mais de quoi vit il ?on se le demande : pas un seul arbre, aucune plantation. Pourtant, il y a du monde et des gosses qui vont à l'école avec leurs alphabets en bois apprendre peut être qu'il existe des régions avec de l'herbe et des arbres.

Nous ne cherchons pas à apprendre le Urdu ou le Farsi, nous cherchons tout bêtement de l'essence pour nous permettre de rejoindre Zahédan situé à trois cent kilomètres de là.

Un allemand est ici depuis trois jours à attendre quelques gouttes du précieux liquide et un camion lui en a fourni trois gallons ; maintenant, il attend pour son frigidaire, de la glace qui va arriver par le train.Il prospecte tous les pays environnants pour vendre des installations téléphoniques, confortablement installé dans sa petite DKW, muni d'un petit vestiaire, d'un ventilateur et de son frigidaire Pour nous, il n'y a plus de camion mais nous sommes au pays du bakchich et la promesse de cinq roupies à un bougre du coin nous apportera deux gallons suffisants pour nous rendre notre autonomie. Restent les formalités assez rapides d'ailleurs.

Mais notre allemand, Fritz Muller, craint dans sa DKW aux ressorts cassés, de tomber en panne, seul dans le désert. Nous sommes d'accord pour l'accompagner mais le cochon nous fera attendre longtemps à cause de sa glace qui n'arrive toujours pas.

Un Anglais arrive dans une Land Rover, il va au Népal faire des recherches et nous formons pendant quelques minutes un petit groupe bien sympathique d'européens. Comme l'on sent à ces moments là, la stupidité d'une guerre comme celle de quarante qui a vu des peuples, évolués comme les notres, si proches les uns des autres par l'esprit, les coutumes, la façon de vivre, s'étriper et rechercher à s'exterminer rageusement pendant six longues années.

L'Anglais part, nous aussi.Fritz nous rejoindra un peu plus tard.

Toujours le désert mais finie la présence rassurante de la voie ferrée.

Frontière Irano Pakistanaise, un seul panneau dans le désert »Iran, drive hand right », de l'autre coté: » Pakistan, keep the left ».

Les Anglais sont passés quelque part.

Encore une centaine de kilomètres sur une route qui depuis le panneau tient à nous rappeler que nous sommes bien en Iran, royaume de la tôle ondulée.

Royaume d'autre chose aussi, nous allons le voir au premier barrage sanitaire.Un jeune officier nous annonce poliment mais énergiquement (des fusils sont dirigés vers nous) qu'il y a eu du choléra au Pakistan et que nous devons nous débarrasser de tout ce que nous avons à boire et à manger, les boites hermétiquement fermées et non entamées faisant exception.Il ne reste plus qu'à dire adieu à nos vingt quatre pains indiens,notre grosse boite de jambon entamée la veille, notre nescafé, le tonimalt,les pâtes, la confiture, etc. Au fur et à mesure que nos bidasses galonnés sortent quelque chose, nous en camouflons d'autres ou leur donnons une autre destination, la grosse boite de graisse indienne devient savon„ le vinaigre produit d'entretien,le tonimalt savon en poudre, douze pains deviennent matériel de couchage et finalement nous ne perdrons que notre réserve de flotte, huit pains, six oeufs , un pot de moutarde et de la confiture.Moins encore, car, devant les Iraniens ébahis puis amusés, sur notre table pliante dressée, nous nous ferons des tartines débordantes de confiture et les engloutirons jusqu'à satiété.

Notre mauvaise humeur initiale s'est transformée en rires fous lorsque nous les quittons, munis de papiers en bonne et due forme. Fritz est moins content, il a perdu toute sa glace ...

Encore de nombreux kilomètres, nous arrivons à Zahédan en pleine nuit, provision d'essence et ..d'eau, achat de dattes et de gâteaux, nous partons camper avec le pauvre Fritz en plein désert, cent kilomètres plus loin.

IRAN Mercredi 21 septembre Kermân 325 miles

On dort merveilleusement bien dans le désert, il fait frais, il n'y a pas un seul moustique, pas un seul bruit, l'air est pur, nous ne nous réveillerons que pour le départ à quatre heures et demi du matin. Petit déjeuner copieux avec œufs et jambon, nous sommes prêts à entamer

le Dach i lout, le grand désert iranien.Nous nous heurtons presque tout de suite à un barrage, un soldat, genou à terre au milieu de la route, nous met en joue jusqu'à notre arrêt complet. Ce petit jeu n'a rien de rassurant connaissant les Iraniens, et nous nous exécutons prudemment: on n'en veut qu'à nos passeports.

Traversée d'une petite chaîne aux couleurs ocres, vertes et violettes où nous verrons, image inquiétante, un car renversé sur le coté. Nous plongeons dans le désert, une vaste étendue noire, de laquelle émergent de temps en temps des dunes jaunes d'un sable extraordinairement fin.La route ondulée et sableuse fait terriblement chauffer nos pneus et nous en éclaterons deux. Les réparations, sous le soleil brûlant avec un vent desséchant qui nous crible sans arrêt, ne sont pas enthousiasmantes.Le désert dure ainsi , sans rien, ni végétation ni vie quelconque, pendant trois cent kilomètres jusqu'à Falriz où nous sommes tout heureux de faire trempette dans un petit ruisseau.

Notre Fritz sort en plus de sa petite glacière quatre bouteilles de canada dry,accueillies avec un plaisir bien compréhensible.

 

 

 

 

Maintenant, la région, tout en restant désertique, est parsemée de petites oasis aux murs de terre entourant des plantations de palmiers dattiers.Les oasis vertes perdues dans ce désert valent vraiment le coup d'oeil mais la chaleur ne nous permet pas de les apprécier à leur juste valeur et nous passons rapidement.

Nous ferons quand même le détour pour un petit caravansérail en ruines aux coupoles en briques astucieusement employées. Pepère, faisant le tour de l'ensemble verra un autel où sont exposées de curieuses tablettes en terre cuite. La présence d'un Iranien monté sur son dromadaire leur évitera le déplacement vers des pays moins torride.

Bam, ville de terre, entourée de palmeraies.Nous y passerons une heure infernale, harcelés continuellement par les gosses et les gens.Nous la quitterons avec soulagement en direction de Kermân sur une route toujours aussi mauvaise, route qui torture notre véwé.En plus de cela, dans la traversée d'une chaîne, nous éviterons de justesse et au prix de plusieurs embardées, un âne imbécile qui traversera subitement la route juste à notre passage. Un autobus s'est moins bien débrouillé que nous quelques heures auparavant. L'habitude est prise, nous continuons à rouler alors que la nuit est déjà tombée.Nous traversons Kermân et allons dormir vingt kilomètres plus loin, dans le sable.

 

 

 

 

 

 

IRAN Jeudi 22 septembre 1960 Anar 136 miles

Fritz nous doit de l'argent prêté à Nokkundi et nous avons besoin de vis platinées. Hubert part à Kermân avec lui.

Pendant ce temps, Henri range la voiture, Michel bricole le moteur, Eric fait sa chronique puis termine sa carte sur la voiture avec les restes du scotch noir.Fritz revient , nous paie et nous quitte avec la promesse de nous revoir chez lui à Munich.

Nous ne le suivons pas.Il nous faut prendre des photos de nous même et du véwé pour en faire des photos cartes postales que nous enverrons à nos connaissances comme souvenir.Avec le chatterton acheté à Quetta nous inscrivons en grosses lettres sur l'avant: PARIS DEHLI PARIS et sur la porte gauche: ECOLE SPECIALE d'ARCHITECTURE. Ainsi parés nous nous photographions sur toutes les coutures pour le futur plaisir de nos belles amies.

Puis nous reprenons l'abominable route, si mauvaise que nous préférons rouler à cent mètres d'elle sur le sable durci par le soleil.Le paysage est monotone mais d'épais vents de sable se chargent de nous le cacher. Il faut croire que l'inaction est fatigante, la voiture aura une nouvelle défaillance et, nous même, nous serons tout heureux de nous arrêter à neuf heures après avoir dépassé les trente mille miles de notre compteur.

 

 

IRAN Vendredi 23 septembre 1960

samedi 24 septembre 1960 Ispahan

Rattrapons le temps perdu hier.Nous nous levons à cinq heures du matin et partons presque aussitôt. Auparavant, inquiétude pendant une dizaine de minutes, le véwé ne veut rien savoir et ne répond pas aux coups de semonce de notre démarreur.Nous nous apercevons, au bout d'un moment, que ce n'était qu'une panne sèche.

Nous quittons le désert pour Yazd qui ne se trouve plus qu'à une trentaine de kilomètres.Nous y sommes presque, lorsque que nous remarquons sur le bord de la route de grosses coupoles surmontées d'une plus petite très ajourée.Elles abritent un moulin : une grosse meule, de près de deux mètres de diamètre, tourne sur une plate forme incurvée et écrase les grains de ricin.L'habituel dromadaire aux yeux bandés n'existe plus, il a été remplacé par un petit moteur placé sur une roue qui tourne gaiement à toute vitesse autour de la plateforme.

En sortant, Hubert constate que la roue avant droite de la véwé est un peu inclinée sur son axe. Par sûreté, nous la démontons pour nous apercevoir avec moult déplaisir que notre pivot de suspension afghan présente de sérieux symptômes d'épuisement : il s'est légèrement tordu en forçant sur le roulement qui s'est désintégré en partie et s'est enfoncé dans le métal trop mou du pivot. La situation est sérieuse.

Hubert remplace le morceau de roulement par du fil de fer et nous repartons à quinze kilomètres/ heure vers le centre de Yazd qui, d'après nos prospectus, possède un garage Volkswagen.

Ce garage existe en effet : trois hangars en terre battue dans lesquels trois types bricolent avec quelques tournevis, pinces et clés.

Bien entendu pas de pièces, pivot ou roulement. Par contre notre sympathique Fritz est là avec ses ressorts et sa DKW.

Le roulement, on le remplace par un bout de tube métallique enrobé d'une feuille de métal. Avec ça nous devrions, en roulant lentement, atteindre Ispahan qui se trouve à trois cent trente quatre kilomètres de là et ou nous pourrions trouver la pièce désirée.

Auparavant nous irons visiter la ville.

Près du bazar, nous remarquons une coupole encadrée de cinq tours de ventilation ; nous voulons à tout prix connaître son utilité car nous avons déjà vu le même genre de construction avant Yasd.Nous grimpons sur la coupole et arrivons à trouver un trou circulaire sombre qui y pénètre.Il débouche sur une vaste citerne d'une dizaine de mètres de diamètre et surplombe de la même hauteur le niveau de l'eau.Nous sommes dans un réservoir qui accumule l'eau des ghanats. Cette eau reste bonne grâce à l'aération fournie par les cinq tours.Pour aller chercher l'eau,un escalier droit, s'enfonce de vingt ou trente mètres dans la citerne et vient buter contre sa paroi ou se trouve un robinet.Un mystère de plus éclairci.

Nous allons ensuite prendre des photos dans les étroites ruelles souvent couvertes de la vieille ville puis prenons la route vers Ispahan.

Lentement, à moins de trente à l'heure, car la route est toujours aussi dégueulasse et notre pivot sans roulement peut claquer d'un moment à l'autre.

Le paysage est de nouveau complètement désertique sauf, de temps à autres, un petit village de terre et quelquefois des tours du silence.Ces tours en terre cylindriques sont la spécialité des Parsis, religion peu répandue.Pour eux, l'eau est sacrée, la terre est sacrée, le feu est sacré ; pour ne pas les souiller par la présence de cadavres impurs ils ont astucieusement recours aux oiseaux de proie et autres charognards qui se font un plaisir de venir déguster les entrailles humaines si faciles à digérer et si bien présentées en haut de ces tours.Le travail est très bien fait, les os soigneusement nettoyés reluisent au soleil au bout de quelques heures. il ne reste plus qu'à aller les chercher pour les enterrer.

Nous nous arrêtons vers dix huit heures pour faire un bon repas au milieu d'une petite tempête de sable avant d'entamer une xième route de nuit.Cette fois ci,à la vitesse où nous allons le chauffeur peut être seul à l'avant tandis que dorment les trois autres.

Tout marche très bien jusqu'à cent vingt kilomètres d'Ispahan, jusqu'à ce que notre véwé, une fois de plus s'arrête de fonctionner. Pendant deux heures dans la nuit glaciale (nous sommes à plus de deux mille mètres d'altitude) Michel et Eric s'affaireront autour du moteur.Au bout de ce temps le véwé condescendra à repartir mais cette fois avec un bruit de turbine et deux passagers frigorifiés.

Ceci ne nous empêchera pas d'atteindre Ispahan.

Nous ne jetons qu'un coup d'œil sur les fameuses coupoles de la place royale, pressés de trouver un gîte pour entasser nos affaires avant de laisser notre véwé au garage.Le guide bleu nous indique la présence de soeurs de la charité et de pères lazaristes.Les premières nous envoient promener, les seconds, d'abord réticents, nous offrent le local scout : une pièce basse et fraîche en sous sol.

Nous entamons aussitôt le vidage complet de la voiture ainsi que son rapide nettoyage. Ceci fait, nous passons nous aussi sous la flotte et allons porter le véwé au garage : garage à l'aspect sérieux bien qu'iranien. Il n'y a pas de pivot mais après des promesses vagues nous laissons notre bagnole.

Sans soucis, l'appareil en bandoulière, nous flânons dans le quartier puis allons nous faire couper les cheveux. Ensuite nous achetons quelques bricoles, de la viande de mouton, des tomates et retournons dans notre local. Repas copieux, sommeil heureux

Dimanche 25 septembre 1960 Ispahan

Grasse matinée dominicale, nous nous levons à huit heures pour aller voir la vi1le. Il est trop tard pour visiter la mosquée de Shah, nous nous rabattons sur une plus petite au très joli dôme couleur crème, la mosquée de Lutfullah située sur un coté de la place royale. Le bazar l'entourant de toute part, nous y pénétrons. C'est d'abord le quartier des cloutiers et des forgerons. Tout le monde travaille du plus vieux au plus jeune, avec une dextérité incroyable. Par exemple, nous en voyons quatre, modeler à coups de masse un petit morceau de métal rouge sur une enclume. Ils tapent à chacun leur tour sans jamais arrêter leur cadence ; les masses se succèdent sur l'enclume à un dixième de seconde les unes des autres passant à quelques centimètres des têtes des ouvriers et le bout de métal devient clou toutes les minutes. La scène est vraiment extraordinaire.

Plus loin, c'est le travail moins spectaculaire mais tout aussi surprenant des orfèvres et des ciseleurs qui martèlent le cuivre et l'argent : le résultat manque malheureusement de finesse et nous passons sans avoir l'envie d'acheter quoique ce soit. Sortis du bazar, nous tombons sur des boutiques où l'on vend toutes sortes d'objet en cuivre et en particulier de grands plateaux qui ont malgré le peu d'inspiration des thèmes et la grossièreté des dessins, une certaine allure.Nous resterons une bonne heure à marchander avec un vendeur faux jeton et bêtement comédien. De véritables larmes lui coulent des yeux quand nous lui fixons nos prix, il nous explique la main sur le coeur qu'il voudrait tant nous faire plaisir tellement nous lui sommes sympathiques mais qu'il risque sa place et même la ruine. Nous sortons, il nous poursuit en se lamentant et nous propose, en nous agrippant les mains, des prix bien inférieurs aux notres.

Inflexibles et insensibles à son affliction nous nous éloignons.

Mais l'andouille iranienne a pourtant su intéresser les vulnérables Européens que nous sommes et nous reviendrons, quelques heures plus tard, acheter pour des centaines de rials ces plateaux que le père lazariste nous dira le soir même, être du travail très moyen qui ne vaut pas le prix que nous l'avons payé.

Nous nous sommes fait « zober », une fois encore.

Lundi 26 septembre 1960 route de Persépolis

« Zobés » dans nos achats nous passons à la visite des mosquées : la vieille mosquée datant de plusieurs siècles, la grande mosquée royale, l'Ali Kapou, beaucoup de travail, de belles faïences, mais nous avons vu trop de belles choses depuis trois mois pour être réellement touchés et admiratifs.

Nous prenons des photos pour la forme sans excessive conviction. Nous sommes saturés, ça sent le retour ! ! !

Encore un tour dans le bazar, une visite aux moulins à huile.Les dromadaires aveugles ne sont pas là mais le travail de la presse sera suffisant pour nous intéresser pendant une bonne demie heure.Dans la pénombre poussiéreuse d'une immense salle voûtée, deux presses sont installées avec de longs leviers formés de l'assemblage grossier d'énormes troncs d'arbres. les deux plus grands leviers sont immobiles mais deux ouvriers en actionnent un plus petit qui n'a pas moins de six mètres de long.Les graines de ricin ayant été broyées par la meule, on les moule en larges galettes que l'on empile dans un haut creuset. Il ne reste plus qu'à les presser pour en faire couler l'huile au moyen des grands leviers que l' on abaisse grâce à un treuil actionné par les deux ouvriers.

Déjeuner dans le bazar.

Ensuite notre équipe se sépare. Michel et Hubert continuent dans le bazar, dans le quartier des tapis. Henri et Eric vont visiter le palais des quarante colonnes puis la mosquée de la Madresseh où un bakchich leur permettra d'aller se balader dans les minarets, tout près de la superbe coupole.

De retour au collège des pères lazaristes, il ne reste plus qu'à ranger notre bordel dans le véwé retrouvé et qui semble tout gaillard et prêt à nous emporter vers Persépolis.

Nous sommes pressés : Téhéran, la charmante famille Bonneville, ne sont plus très loin de nous.

Allons vite à Persépolis et peut être que dans deux ou trois jours nous débarquerons rue Etachan Mie, lieu sentimental de notre vrai début de voyage et de sa fin.

Il est vingt heures lorsque nous quittons les braves pères lazaristes décidés à faire une longue route de nuit.

La route est en construction à la sortie d'Ispahan et les déviations dans le sable mettent déjà à rude épreuve notre véwé convalescent et son nouveau pivot.

Ensuite c'est la tôle ondulée mais notre courageux véwé arrive à la maîtriser grâce à une vitesse intrépide, dans un noir d'encre, de plus de soixante dix kilomètres à l'heure.Eric a conduit depuis une heure et demie lorsque la clarté des phares diminue subitement.Premier examen, la dynamo ne fonctionne plus et nous roulons grâce à la batterie qui se décharge dangereusement.Il nous faut retourner à Ispahan mais ,découragés par cette panne stupide, nous campons sur le bord de la route.

Mardi 27 septembre Ispahan

Retour au garage.

Auparavant nous déchargeons notre matériel chez les pères dans le local où nous passerons d'ailleurs toute la journée à sommeiller dans l'attente du prochain départ vers Persépolis.

La voiture est prête vers dix huit heures.Le point rouge du fonctionnement de la dynamo s'allume encore à haut régime mais le garagiste rassure rapidement nos esprits inquiets.

De nouveau , la route de Persépolis. Pas pour longtemps, les phares se mettent à clignoter puis s'éteignent complètement ce qui permet à Pepère de nous égarer complètement dans les sables et la nuit.

Nous retrouvons heureusement la route à la lueur des lampes torches et reprenons, la rage au coeur, le chemin du garage.Il est vingt et une heures, le garage est déjà fermé ainsi d'ailleurs que le collège.Il ne nous reste plus qu'à reprendre pour la troisième fois la direction de Persépolis pour aller camper en dehors de la ville.

 

Mercredi 28 septembre 1960 Delidjan

Tôt le matin, tout est remis en ordre assez rapidement mais, pour nous, Persépolis est maintenant gage de pépins et nos trois essais malchanceux nous ayant dégoûtés à jamais de la route iranienne , nous désirons rapidement prendre le chemin du retour.Et puis nous pourrions dormir ce soir sur la terrasse d'une certaine maison de Téhéran et en face de cela, les ruines de Persépolis et les jardins de Chiraz ne pèsent plus bien lourds.Pourtant, nous avons encore quelques scrupules et nous décidons de tirer à pile ou face la direction à prendre...

Face ...C'est Téhéran et nos visages s'illuminent d'un lâche soulagement.

Nous fêtons cet agréable coup du sort et prenons illico la route de Téhéran ,décidés à ne plus revoir Ispahan et ses mosquées. La route est excellente pendant plus de cent kilomètres et la véwé se lance dans des pointes à plus de soixante dix miles à l'heure.Puis elle se relâche à notre indicible désappointement mais nous découvrons, un peu plus loin, que ce n'était qu'un fil de bougie desserré.Le véwé reprend son allure bien que la tôle ondulée ait, de nouveau, fait son apparition: la voiture est terriblement secouée mais nous continuons à la pousser à quatre vingt kilomètres à l'heure pour réduire l'effet des trépidations.

Hubert au volant exulte et déclare à son voisin Eric : « On avance, elle marche bien cette bonne véwé ! ! ! ... »

 

Le paysage désertique écrasé par le soleil s'étale à l'infini.Tout est extraordinairement calme, rien ne bouge.

Seul, un nuage insolite s'élève sur un côté de la route.

La poussière se dissout lentement dans le soleil et laisse apercevoir une masse informe d'où viennent de jaillir quatre ombres ...

Nous sommes les quatre ombres et la masse informe est la véwé : elle a fait la cabriole et s'est retrouvée sur ses roues mais toute de guingois, les portes ouvertes, son chargement de caisses et de valises complètement éclaté.

……

 

 

 

Nous nous congratulons en découvrant que nous sortons indemnes de ce superbe tonneau. Michel semble le plus atteint ,car complètement absent , jusqu'à ce que nous découvrions avec frayeur les cheveux d'Henri tout ensanglantés.Vérification faite , ce n'est que de la sauce tomate.

Encore abasourdis et abrutis, nous essayons de repérer la somme des dégâts :Le véwé est bien cabossé, froissé et tout tordu , un bidon d'essence troué glougloute dangereusement, les caisses sont presque toutes éclatées ainsi que des boites de conserves, deux roues sont cassées…

Des camions s'arrêtent, les occupants regardent curieux et repartent.Ils sont habitués à ce genre de scènes qui ne les émeuvent pas plus que ça.

Des soldats viennent nous porter secours , du moins le croyons nous ,mais ils préfèrent en rigolant s'empiffrer de nos biscuits et autres trésors répandus dans le sable ; devant nos mines furibardes, ils s'en vont calmement. Il faut donc au plus vite mettre de l'ordre dans tout ça sinon nous nous retrouverons bien vite comme le bon Job.

Henri est porté volontaire pour aller chercher de l'aide à Téhéran . Il part en stop jusqu'au prochain téléphone. Pierre Bonneville ne sait pas encore qu'il va être mis sérieusement à contribution : à notre grand étonnement il arrive souriant, quelques heures à peine, après notre appel. Nous enfournons le maximum de notre chargement dans son Opel tandis que la véwé est hissée sur un camion puis déchargée un peu plus loin à l' aide de bidons d'essence près d'une station d'essence.

Toujours un peu sonnés, nous retrouvons la rue Etachan Mié et ses charmants occupants.

Eric qui écrit sérieusement sa chronique quotidienne n' en revient pas.Cette famille qu'ils ont découverte avec bonheur il y a trois mois, ils la retrouvent grâce au scénario de la vie, un scénario qu'aucun auteur n'aurait osé inventer car vraiment trop invraisemblable : un tonneau sans autres conséquences que de pouvoir repasser de nouvelles et heureuses journées avec elle…

 

Jeudi 29 septembre au jeudi 13 octobre Téhéran

Le plaisir de revoir la petite famille Bonneville nous empêche de trop pleurer sur notre sort.

Nous sommes très occupés d'ailleurs ; il faut trouver des sous pour la réparation de notre véwé et chercher à revendre tout ce qui est possible, vêtements, appareils de photos, médicaments.Hé bien, nous sommes devenus d'excellents négociateurs, vraiment ignobles même, nécessité fait loi.

De plus, les bonnes sœurs dont nous avait parlé Janik à l'aller se sont occupées de notre problème et ont réussi à joindre la jeune Impératrice Farah qui veut bien nous recevoir .

En effet, après les réponses négatives et ironiques de tous les officiels et autres gens importants, Janik avait émis l'idée que Farah avait ,sans doute, du conserver d'excellentes relations avec les bonnes sœurs de son collège et que celles-ci pourraient peut être la joindre et lui faire part de notre souhait de la rencontrer : un chauffeur doit venir nous chercher dans deux jours.

Bien entendu nous n'avons plus de vêtements corrects. Janik peut s'occuper de la lingerie mais les costumes froissés et pleins de terre doivent subir un sérieux décrassage chez un professionnel.Le matin de la réception, ceux ci ne sont toujours pas prêts, Hubert va les chercher en ville. Les autres attendent en chemise, cravate et slip.Ils sont encore dans cette tenue lorsque s'annonce le chauffeur dans sa longue Cadillac noire..

Hubert arrive tout essoufflé, une bonne heure plus tard.

La Cadillac emporte enfin quatre élégants et beaux jeunes hommes fort intimidés vers le palais d'été de la famille impériale.

Présentation d'armes à l'entrée et le long des allées du parc, ainsi que dans les escaliers qui nous conduisent dans un grand salon où nous reçoit une des sœurs du Shah : elle parle un excellent français et, très courtoise, nous met rapidement à l'aise en attendant l'arrivée de l'IMPÉRATRICE .

Allons nous reconnaître la grande fille sportive de l'école d'archi ?

Elle entre, impressionnante, par sa taille, par son huitième mois de grossesse, par ses vêtements et surtout peut être par son titre d'IMPÉRATRICE. Nous bredouillons des « Votre MAJESTE, Madame l'IMPÉRATRICE, MADAME, etc. ».Nous nous sentons nuls et cela l'intimide à son tour.Heureusement, le naturel revient peu à peu, si ce n'est au galop, et nous retrouvons enfin notre étudiante parisienne, les souvenirs resurgissent et la font sourire.Elle aussi se retrouve pendant un moment à Paris et à l'école , ça ne lui déplait pas, nous arriverions presque à lui taper sur l'épaule…Non , quand même !!!

Hubert s'enhardit et lui demande s'il serait possible de garder un souvenir de notre entrevue par la prise d'une photo. Farah hésite, une porte s'ouvre aussitôt et nous sommes pratiquement mis à la porte par un personnage autoritaire, l'entretien est terminé ! Farah semble aussi interloquée que nous : On nous expliquera le lendemain que n'étant pas encore mère, elle n'est pas encore considérée comme une véritable Impératrice et que ses pouvoirs sont pratiquement nuls Nos adieux sont malheureusement rapides et brefs.

Les quinze jours passent à la fois trop vite et trop lentement.

La véwé est enfin annoncée .

Vendredi 14 octobre Marand

Nous roulons sur la route goudronnée et les lumières de Téhéran disparaissent à l'horizon.Adieu Pierre et Janick...Notre coeur est bizarrement lourd et toutes les petites attentions de Janick nous la rappellent à chaque instant : il y a des bonbons dans la poche de la porte, des cigarettes et des pistaches dans le tableau de bord ...Mais il nous faut tourner la page et ne plus penser qu'aux dix jours et aux six mille kilomètres qui nous séparent encore de Paris.

Le rythme des trois heures a repris et nous fonçons dans la nuit, ralentis seulement par une crevaison.

Le jour se lève alors que nous avons déjà parcouru quatre cent kilomètres.La route de terre consciencieusement ondulée a remplacé l'asphalte et diminué notre vitesse. Le paysage a un peu changé depuis trois mois.Ce sont toujours de lourdes et vastes collines mais la moisson des quelques épis de seigle a fait place aux semailles : de temps en temps on rencontre un type qui jette quelques grains en l'air avec le geste fataliste et peu convaincu de celui qui sait qu'un grain sur cent seulement donnera quelque chose. D'autres labourent, retournent cette terre sèche et aride avec un soc en bois durci au feu.Les rares arbres brûlés par l'été ont pris des couleurs chaudes, ocres, jaunes, rouges, bruns.A l'horizon, quelques sommets sont même déjà couverts de neige, une neige incongrue qui nous rappelle que le temps des vacances est fini.

Nous sommes bien d'accord et voyons avec plaisir les kilomètres filer sous la voiture.

Tabriz, il est presque midi ; Nous n'y restons que le temps d'acheter des oeufs, du pain, des petits sous-verre en argent pour Marthe Sillion, quatre pepsi cola qui failliront amener une bagarre et nous reprenons la route vers la Turquie ou nous devrions arriver ce soir.

Mais un bruit sourd de casserole se fait entendre à l'arrière de la voiture.Nous pensons qu'il est du à un manque d'huile et faisons le plein des différents carters.Le bruit augmente et devient vite intenable.Deux solutions s'offrent, revenir à Téhéran pour faire cette réparation aux frais de Volkswagen ou continuer coûte que coûte vers l'Europe quitte à monter la bagnole sur le train à Erzurum ou sur bateau à Trébizonde.

Téhéran est déjà à plus de sept cent kilomètres, nous décidons de poursuivre.Mais bien vite nous sommes obligés de rouler à trente à l'heure tellement le bruit devient torturant.

Et soudain, c'est la panne, les roues arrière viennent de se bloquer net.

La nuit est tombée, notre différentiel est foutu, que nous reste il d'autre à faire que de planter la tente et dormir dans la froide nuit du désert.

Oh merde, merde.Dire que nous pourrions être en Turquie.

 

 

Samedi 15 octobre Marand

Il n'y a pas de doute, nous sommes en panne et bien « zobés ».Il faut aller chercher du secours à Tabriz.Un car s'arrête, Hubert et Henri sautent dedans.

A Tabriz, ils rencontrent le consul qui très secourable ne saura que déclarer :

« au fond, vous vous attendiez bien à cela en venant dans ces pays là... ».

Merci, monsieur le consul !

Mais il faut trouver un garage puis une bagnole pour ramener le mécanicien vers le lieu de la panne à cent vingt kilomètres de là.

A midi, ils déjeunent dans une sorte de restaurant universitaire : un étudiant curieux demande à Hubert ce qu'il pense de l'Iran et des Iraniens.Estomaqué par ses réponses brutales et expéditives (very bad !), il veut se rattraper en parlant d'Ispahan.La réponse arrive définitive, « Ispahan, connais pas ! »

Le garage fournit un « spécialist », on trouve un type avec une jeep et en route vers la véwé.

Michel et Eric pendant ce temps ont essayé de démonter les réducteurs sans succès puis ont passé leur temps à faire de la cuisine et à jouer aux cartes. Plusieurs paysans sont passés réclamant des habits : il faut toujours profiter des Européens quelque soit leur situation.

Retrouvailles.Le « spécialist »se met au travail, débloque le différentiel, fait dix mètres avec la voiture et rebloque tout.Il ne reste plus qu'à démonter le train arrière.Il se met au travail avec une méthode toute iranienne, jetant boulons, rondelles et ressorts au petit bonheur dans le sable, dans une boite, dans sa poche, n'importe où.

L'huile coule de partout, il ne s'en préoccupe guère.Le démontage du moteur est très simple : il desserre trois boulons et le laisse tout simplement tomber de sa hauteur, de quatre vingt centimètres.Pour le retirer de sous la voiture, il faut soulever cette dernière. Nos forces ne sont pas herculéennes et pendant quelques minutes tout le poids du véwé reposera sur la dynamo.

On bricole, on bricole, mais nous sommes malades de dépit et de rage : tous nos ennuis sont arrivés par le manque de conscience professionnelle et l'ahurissant « je m'en foutisme » de ces mécaniciens orientaux.Enfin, comme dit le consul, c'est bien nous qui avons décidé de faire un voyage dans cette direction.

Finalement, alors que la nuit est déjà tombée depuis un moment,le « specialist » fiche le camp dans la jeep avec notre pont arrière enveloppé dans une bâche.

Quant à nous, nous nous couchons.

Dimanche 16 octobre 1960 Marand

Vu notre confiance dans les Iraniens, nous décidons de nous séparer de nouveau.De toute façon, il faut trouver du fric car nous sommes à sec côté rials.Henri et Michel, respectivement trésorier et mécanicien, montent dans une jeep militaire qui les dépose à Marand. Là, un iranien en Mercedes les prend bien que qu'Henri et Michel lui fassent comprendre qu'ils n'ont pas l'ombre d'un rial. Gentil l'Iranien. Pourtant, arrivé à Tabriz, il allonge l'addition : cinq cent rials.

Discussion, tout se termine au poste de police ou, avec tchai et sourires, le jugement est rendu : ils paieront cinquante rials.

Trêve de plaisanteries, il faut s'occuper du pont arrière, le garagiste ne l'a pas vu...

Il se trouve bien gentiment chez le propriétaire de la jeep qui a décidé de ne pas le rendre tant qu'il ne serait pas payé.

Change au bazar et enfin la réparation peut commencer.Le carter et plusieurs pièces du différentiel sont définitivement baisées.

Il faudra toute la journée et la matinée du lendemain.

Il ne reste plus qu'à surveiller le boulot, changer encore des rials pour la réparation qui coûtera dans les cinquante mille francs et aller dormir à l'hôtel, le consul faisant le sourd. Des sourires tant qu'on n'en veut, un petit service ? Non , l'administration ne le prévoit pas.

Pendant ce temps, Hubert et Eric se sont occupés : rangement de la voiture, recensement des vivres, cuisine, tirs sur des isolateurs de ligne électrique, bavardage avec les curieux qui s'arrêtent intrigués par cette voiture à moitié décomposée.Ce sont des Anglais ou des Australiens en Land Rover, des Français ou des Suisses allant ou partant de Téhéran, un ingénieur allemand qui travaille avec des Iraniens au tracé d'une nouvelle route.Celui ci d'ailleurs ira leur acheter des oeufs et du pain.Service pour service, ils lui refileront de l'essence lors d'un de ses passages dans la soirée.La nuit tombe à dix sept heures et ils vont oublier pendant quelques temps qu'ils sont dans une situation encore plus ennuyeuse que celle d'Ispahan : rêver qu'ils sont encore avec Pierre et Janick, à écouter de la musique ou balancer cette dernière dans la piscine .

Lundi 17 octobre frontière 129 miles

Henri et Michel n'arrivant toujours pas, les deux autres se lancent dans le tri et le nettoyage des diverses pièces laissées en vrac par le mécanicien.Ils s'apprêtent déjà à terminer une troisième journée d'immobilisme lorsque arrivent vers quatorze heures, une jeep, trois Iraniens, Henri et Michel et …le pont arrière.

Les trois farsis bouffent leur repas (galettes, fromage blanc et raisin) et se mettent au boulot.Le train arrière retrouve sa place.Quant au moteur on le grimpe en le mettant en équilibre sur un cric. La méthode est risquée mais réussit. Vers six heures tout est prêt.

Petit tour d'essai, tout semble aller, sauf un tambour d'où pisse de l'huile.Les Iraniens pressés de partir déclarent que tout est « rub », nous insistons pour découvrir qu'ils avaient oublié de refixer un boulon et que l'huile des réducteurs coulait dans le tambour des freins, »Rub nis »...

Deuxième essai de quelques kilomètres pour découvrir que de l'huile coule encore mais du pont cette fois ci. Les trois salauds, peu soucieux d'un deuxième démontage, s'enfuient consciencieusement dans la nuit.

La panne est terminée.

Il ne reste plus qu'à reprendre la route de la Turquie.

Tôle ondulée, Koi où nous liquidons une partie de nos derniers rials par de nombreux achats (cigarettes, allumettes, sucre, yaourt, ampoules, pommes, prunes, grenades et gâteaux) et fuite vers Maku et Bazargan.Il est minuit, les douaniers dorment, il ne reste plus qu'à dormir, trois dans la voiture, Henri, à l'auvergnate, sur le sol de la douane.

Mardi 18 octobre Trébizonde

Mercredi 19 octobre Ankara

Jeudi 20 octobre Istanbul 1248 miles

Les Iraniens veulent bien regarder nos papiers vers huit heures.

Pour parvenir en Turquie il suffit de passer au centre de la cour qu' entourent les bâtiments de la douane. La voiture est fatiguée, elle ne peut démarrer et nous la poussons vers la Turquie.Un soldat turc casqué, armé, nous repousse fermement.On ne peut traverser la frontière à pied ???

Turquerie...

Douane enfin passée,nous entamons les deux mille kilomètres de Turquie.Le mont Ararat a blanchi depuis la dernière fois et notre photographe officiel attiré par cette vieille tête séculaire et de magnifiques premiers plans d'arbres roux, descend mitrailler.

La route de terre grimpe, tourne, descend, remonte à travers un paysage majestueux de montagnes rousses rapiécées par les noirs labours.De temps en temps, un village de terre ou s'affairent des groupes multicolores.

Dans l'un de ceux-ci, des soldats nous font des signes. Faisant semblant de ne pas les voir nous continuons mais dix kilomètres plus loin, un barrage nous arrête.Il faut revenir au village précédent avec un soldat dans la voiture.Que nous veulent ils ? Pas grand-chose, nous remettre un autre soldat qui nous accompagnera jusqu'à Erzurum.

Returquerie.

Là, nous passerons trois heures à nous faire enregistrer par les services de l'armée. Pourquoi tant de temps pour trois bouts de papier ? Mystère...

Un de nos pneus se dégonfle, nous cherchons la clef adéquate et nous nous apercevons que les mécaniciens iraniens nous l'ont fauchée : charmant souvenir, mais il ne nous faudra pas avoir d'ennuis de pneus crevés ou de bougies jusqu'à Paris sinon c'est la merde et de celle la, on en a jusqu'au cou et bien assez comme ça. Encore deux ou trois vagues et nous en avalerons.

Un jeune officier turc monte avec nous pendant dix sept kilomètres puis nous continuons seuls à travers un pays montagneux et désert, dans la nuit vers Trébizonde et la Mer Noire. Nous escaladons une chaîne sauvage dans laquelle nous ferons de charmantes rencontres : un loup qui fuit rapidement, un ours qui nous fixe avec curiosité puis nous montre poliment son derrière, des lièvres, plusieurs magnifiques petits renards, tout autant de bestioles qui nous font bien regretter l'absence d'un fusil de chasse.

Trébizonde, un petit port aux maisons perchées sur un promontoire.Le paysage doit être de toute beauté mais il est difficile de l'apprécier à huit heures du matin.

Nous longeons la Mer Noire qui, à cette heure ci, mérite bien son nom.Une petite route de terre ,fort accidentée, serpente le long de la côte à travers une dense végétation de petits arbustes.

La conduite n'est pas facile, les phares en profitent pour baisser et même s'arrêter lorsque le régime est trop bas.Puis c'est le moteur qui cale lorsque l'on ralentit trop et, plus d'une fois dans la nuit froide, il faudra pousser une voiture aveugle pour la faire redémarrer.Finalement nous mettons une méthode au point: dans les virages où il faut obligatoirement ralentir, on éteint les phares et on les remplace par le rayon bien insuffisant de la lampe électrique.L'allumage est alors suffisant pour que le moteur ne cale pas. La méthode est bonne mais fatigante et dangereuse et c'est avec plaisir que nous verrons un jour magnifique se lever sur la côte et la mer.

Nous en profitons pour faire une halte déjeuner dans un endroit dominant la mer d'une bonne cinquantaine de mètres.En bas,les canards sauvages nous imitent et plongent dans les eaux bleues pour une pêche magnifique.

La route se poursuit en terre ou goudronnée, le long d'une côte souvent très belle, parsemée de charmants et pittoresques petits ports où se balancent de lourdes barcasses bariolées.Nous croisons sans arrêt les grossières et grinçantes charrettes à roues pleines, tirées par de robustes et courageux petits bœufs.

Samsun, terminus de notre trajet le long de la Mer Noire.

Grand port turc, il accroche ses maisons cubiques aux toits à quatre pentes, sur les hauts plateaux que nous allons escalader et traverser pendant plus de quatre cent kilomètres jusqu'à Ankara.La nuit tombe vite, nous roulons sur une route de terre accidentée et souvent dangereuse, détrempée par la pluie qui tombe presque sans arrêt depuis Samsun.Mais la voiture semble pleine de bonne volonté, elle attendra la capitale turque avant de commencer la comédie des phares.

La route est bonne et la nuit se termine tranquillement.

Il pleut toujours au lever d'un jour gris et triste qui fait déjà penser aux jours de la rentrée, en France.

Le paysage lui-même, grâce au brouillard, à la pluie fine, aux ombres noires qui se hâtent frileuses sur la route luisante, aux feuillages déjà jaunes et rousses, nous rapproche de notre pays.Le but n'est plus bien loin.

Oui, mais la voiture se met à faire un bruit d'enfer.

Remerde, alors ! Cela vient du moteur et nous envisageons déjà de nombreuses hypothèses, piston fêlé, soupapes déréglées, bougie éclatée etc. Finalement, ce n'est que le tuyau d'échappement qui s'est dessoudé.Les mécaniciens de Tabriz veulent décidément se rappeler à notre mémoire...

Nous poursuivons donc vers Istanbul, quatre cent, trois cent,deux cent kilomètres et voici Skutari et de l'autre coté du Bosphore, l'Europe...

Le soleil est de la partie pour nos retrouvailles avec notre vieille amie Istanbul.Celle ci mène toujours sa vie trépidante : le Bosphore est sillonné de gros navires, de dansantes petites barques, d'infatigables remorqueurs, de vieux bateaux de pêche bariolés et de larges bacs dont l'un d'eux nous fera rapidement retrouver l'Europe par le débarcadère de Karokoi.

Il est midi et demi, le consulat français ferme à une heure, il nous faut nous dépêcher pour aller chercher un nouveau triptyque qui doit nous attendre.Il est là en effet, allons vite à l'ambassade bulgare pour nos visas : fermée, direction l'hôpital français.Notre mère supérieure est là et nous fait tout de suite apporter, pain, saucisson, tomates, fromage et pommes dans notre habituel local: » chez nous ».

Henri qui a mal au bide se couche tout de suite, Eric range les affaires et poursuit sa chronique, Hubert et Michel vont au garage véwé pour plusieurs bricoles : un tambour fuit, le pot d'échappement à ressouder, régulateur, etc.

Ils en reviennent un peu plus tard, furieux et écoeurés : les mécaniciens font leur boulot par-dessous la jambe en se foutant de tout et leur travail on rien, c'est kif kif...

On commence à en avoir l'habitude mais c'est chaque fois aussi révoltant.

Ils se remettent de leurs émotions en attaquant une magnifique omelette aux haricots et chacun s'enfile dans son sac de couchage rêver à un pays où les « zobés » n'existent pas...

Vendredi 21 octobre Sofia 348 miles

Henri et Hubert vont au service Bosch faire voir notre régulateur puis tous les quatre, nous allons à l'ambassade bulgare pour les visas mais l'on ne peut nous les faire séance tenante ; pour cela, il faut s'adresser au consulat qui se trouve à Edirne.Il n'est donc plus question de s'éterniser à Istanbul.Nous retournons vite à Sisli remplir la bagnole et faire nos adieux puis nous prenons la route de la Bulgarie.

Edirne après huit heures de route, nos visas sont rapidement faits et après quelques courses pour liquider nos kurus nous nous dirigeons vers la frontière où les douaniers turcs et bulgares nous laissent passer plus indifférents au contenu de notre véhicule qu'à leur querelle de longue haleine : pour répondre à la baignoire turque, les Bulgares en ont construit une ; du coup, les Turcs ont bouché la leur.A l'aller, la douane turque était dans une quasi obscurité tandis que les Bulgares étincelaient, maintenant les Turcs ont leur éclairage mirobolant, lampes au néon éclairant la route, sodium pour mettre en valeur leur tour de guet.Les Bulgares avaient un petit monument avec «  bienvenue en Bulgarie, les Turcs viennent d'en construire un, très moderne, avec…l'adresse d'un hôtel. Bientôt de part et d'autre de la frontière on aura certainement deux villes superbes si cet antagonisme se poursuit…

 

Route de nuit vers Sofia à quarante kilomètres de laquelle nous nous arrêtons vers deux heures du matin.

 

 

 

 

Samedi 22 octobre Svetozavera 182 miles

 

Le consulat de France n'ouvre qu'à dix heures.Nous allons faire un petit tour en ville en attendant.

Retour au consulat pour apprendre que la Bulgarie ne paiera jamais pour notre accident de l'année dernière.

Il ne reste plus qu'à reprendre la route vers la frontière où les douaniers jouent calmement profitant de cette calme et ensoleillée journée d'automne.Ils préfèrent jeter un coup d'œil amusé et peu entreprenant sur l'étalage de nos matelas pneumatiques, de nos sacs de couchage et de tout le bordel qui y traîne, sans parler de l'odeur.

Chez les yougoslaves nous essayons d'obtenir un double de l'attestation confirmant la confiscation de nos cent treize mille francs, l'année dernière. Pepère a, en effet, reçu à Téhéran, une lettre l'informant que nous pourrions récupérer notre fric en présentant le dit papier. Notre tentative est vaine

Deuxième espoir déçu en l'espace de quelques heures.

Jusqu'à Nis, nous suivons nos derniers kilomètres de route en terre, heureux de nous retrouver dans un pays un peu civilisé et plus à notre goût: les filles nous font de beaux sourires et de larges signes. Finies les voilées qui se détournent ou se cachent dans les fossés.

Adieu l'Orient.

Adieu aussi cette douce journée d'automne, le soleil frileux s'emmitoufle dans son horizon de nuages.

 

Dimanche 23 octobre 1960 Popovaca 313 miles

 

Les nuits sont froides, nous n'avons pas envie de nous attarder dans nos sacs et nous nous levons rapidement.

C'est dimanche, nous doublons de longs cortèges de calèches ; mariages ou fêtes, les villageois s'en vont en promenade au son d'un accordéon et des sonnettes de leurs chevaux.Tout cela offre un charmant coup d'œil mais pressés, plus qu'à les admirer, nous songeons à les doubler rapidement. La route serpente, monte et descend et atteint bientôt la capitale yougoslave.Michel doit y poster une lettre à l'ambassade ; furieux d'en voir la porte close ( nous sommes dimanche) et exaspéré par les réflexions perfides d'Eric, il balance sa précieuse missive dans le caniveau. Hubert conciliant comme d'habitude , la ramasse, découvre une autre porte et ramène une lettre adressée à…Michel.

Rapide marché ( saucisson, pain, margarine, pommes et raisins) alors que déjà la police patrouille pour faire fermer les boutiques ( il est midi) et nous reprenons la route vers Paris.

Autoput, le large ruban de béton, la voiture avale les kilomètres jusqu'au coucher du soleil. Nous nous enfonçons sous les chênes pour dormir. La voiture roule sur un tapis de feuilles humides puis s'arrête subitement.Une demi heure de recherches pour découvrir que ce n'était tout simplement qu'une panne sèche.Rassurés, nous dînons et nous blottissons chaudement , qui dans la tente, qui dans la voiture.

 

 

 

 

 

 

Lundi 24 octobre 1960 Milano 470 miles

 

Les vestiges du brouillard matinal s'accrochent aux grilles sombres de la forêt lorsque nous la quittons.

Un peu plus loin une pluie légère mais froide le remplacera sur l'autoput et nous tiendra compagnie jusqu'à Zagreb où nous devons aller faire un tour à la poste car Pepère attend notre prolongation d'assurances. Celle ci n'étant au rendez vous, nous prenons la route de Lioubliana : une large bande d'asphalte rouge qui s'élance au milieu d'un paysage incendié par l'automne débutant; c'est une merveilleuse débauche de roux, d'ors de jaunes et de bruns. Les arbres brûlent dans un dernier sursaut, indifférents à la pluie qui, rageusement tente de leur arracher cette parure de carnaval pour les laisser nus et implorants devant l'hiver qui s'avance.

Une jeune yougoslave fait du stop et nous la prenons malgré une énorme colère, peut être justifiée, de Pepère : Il considère, très bruyamment, que nous sommes complètement cons de prendre une autostoppeuse dans notre situation actuelle: nous n'avons plus d'assurances..…

Totalement affolée par ses braillements, elle reprendra peu à peu courage grâce aux sourires admiratifs mais jaunes des trois autres.Elle est agréable, parle bien l'anglais et nous fait passer assez vite et joyeusement le temps jusqu'à Lioubliana.

Encore de nombreux kilomètres à travers un terrain accidenté mais au paysage toujours aussi merveilleux.

La frontière, l' Italie.

 

La chronique n'est plus écrite au jour le jour par Eric : perte des pages ou négligence de ce dernier.

 

Les quatre voyageurs terminent cette journée du lundi 24 octobre à Milano puis se dirigent sous la neige vers Genève où les attend l'allemand Walter qui leur avait servi de prête-nom pour passer , au mois de juillet , de France en Suisse avec leurs documents suspects.

Ils rallieront Paris le jeudi 27 octobre après un détour par Neufchâteau et quelques petits problèmes. La véwé, leur fidèle compagne pendant ces 113 jours et ces presque 27000 kms, rejoindra la casse et eux leur école d'archi où L'ORTF, seule chaîne de télévision française à l'époque, viendra les filmer et les interviewer.

Un montage de leurs films et photos ainsi que les prises de vues et de son, passeront sur le petit écran en février 1961 dans l'émission présentée par Pierre Dumayet :«  L'AVENIR EST A VOUS  ».

 

 

 

L' avenir était il vraiment à nous ?

 

 

La Yougoslavie a explosée avec les horreurs que l'on sait,

Sarajevo a été dévastée, le pont de Mostar a été détruit, ces régions si calmes ont subi des massacres impensables,

La Grèce a subi le régime des Colonels,

La Turquie a connu de terribles tremblements de terre,

L' Iran a rejeté le Shah et notre Farah, des centaines de milliers de jeunes Iraniens sont morts pendant la guerre contre l'Irak,La ville de Bam est détruite par un tremblement de terre,,

L' Aghanistan a souffert des dizaines d'années de guerre et le régime des Talibans, les grands Bouddhas ont été détruits,

Le Pakistan et le Cachemire sont en proie à la guerre civile,

Aux Etats-Unis , les Twins de New York n'existent plus…